Oh merveilleuse littérature russe, en ce soir enneigé, c’est le grand Tchekhov qui s’invite aux Célestins. Le froid nous glace les joues et les flocons se déposent dans nos cheveux, mais c’est le théâtre qui aujourd’hui nous fait pénétrer dans l’univers magique de la Russie.
Pour Anton Tchekhov, La Mouette est une de ses œuvres phares, elle n’est pas la plus impressionnante mais elle a le mérite de se démarquer. Cette pièce de théâtre en quatre actes est ici remarquablement adaptée par Frederic Bélier Garcia, avec une Nicole Garcia au meilleur de sa forme d’actrice. La mise en scène empreinte d’une grande philosophie conserve à merveille la pièce et insiste sur chaque point important. L’intelligence de la représentation nous fait remarquer les thèmes primordiaux : l’amour, l’art, le théâtre dans le théâtre, l’illusion … Cette comédie qui se termine en tragédie nous invite à réfléchir sur nos propres vies.
Les personnages de La Mouette ne sont pas heureux, pas une seconde il n’est question de bonheur. Ici chacun spécule sur son avenir, chacun rêve de célébrité. Comme l’écrit Frédéric Belier Garcia «La Mouette un grand cabaret de l’existence ». A la manière d’un Maupassant, Tchekhov nous dresse un tableau, celui d’hommes et de femmes qui jouent un rôle. Une question résonne sans cesse : « qu’as-tu fais de ta vie ? ». C’est dans le dénouement tragique que les personnages seront confrontés à leur image. L’illusion est le mot clef de cette maison isolée.
Plongés dans l’absurdité de l’existence, les personnages semblent partager une obsession : celle de l’engagement artistique. Si l’on n’est pas artiste on aurait voulu l’être quoi qu’il arrive. Certains sont prêts à refuser le bonheur pour accéder à la célébrité pendant que d’autres souffrent du non-sens de leur vie d’ « élus ». Ici pas d’apologie de l’art, on ne célèbre pas la littérature ou la musique, on ne regarde que soi et son potentiel talent, on parle de son inspiration, de son parcours et de sa prochaine réussite. Tchekhov aborde là la question du statut de l’artiste. Sa difficulté, sa fragilité et sa désorganisation qui semblent inhérents à cette vocation.
Cette pièce entre réalisme et symbolisme met en scène un théâtre dans le théâtre pour renforcer cet univers artistique. Tchekhov grand admirateur de Shakespeare n’hésite pas à citer Hamlet par la bouche de Konstantin « Et pourquoi donc t’être livré au vice cherchant l’amour dans le gouffre du crime ». En effet il est aussi question d’amour. Dans ce monde d’illusion et de déception les histoires amoureuses relèvent du Racinien. On retrouve presque un schéma à la Andromaque: Medvonko aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina qui aime Trigorine … Dans la continuité d’une comparaison avec la tragédie classique du 17ème, cette fausse comédie semble empreinte d’une grande ironie tragique.
En effet la parole se fait presque performative, le dénouement semble écrit d’avance. Cependant les personnages ne peuvent rien pour l’empêcher et le regarde filer. Ainsi d’où vient cet étrange titre ? Que signifie « la mouette » ? On peut y lire une figure allégorique de la liberté de l’artiste. Cet oiseau côtier blanc et gris au cri strident peut nous rappeler par sa capacité de voler l’indépendance de l’artiste. Cependant en russe Tchaika (la mouette) contient le verbe « espérer vaguement ». Alors on semble voir ici dans l’analyse du titre la notion d’illusion, de fragilité et de désillusion. Ces personnages sont à l’image de la mouette, vulnérables. Si bien que cet oiseau majestueux finira empaillé, privé d’une quelconque liberté.
Stanislavski écrivait « Tchekhov est inépuisable », nous en avons encore la superbe démonstration ce soir. Comme toujours le théâtre russe nous enchante. Par sa fantaisie, sa manière de pensée et son habilité chacun se retrouve projeté.
Et plus si affinités
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