On le croise dans les pages des romans d’Eva Ionesco ou Patrice Eudeline, qui étaient ses amis. On l’aperçoit de loin en loin dans le documentaire Des jeunes gens mödernes. En son temps, Alain « Paca » Pacadis fit plus que défrayer la chronique ; il en rédigea le cours, dans les rubriques de Actuel ou Libé, entre autres, avec une plume inspirée d’adepte du gonzo. Camé jusqu’à l’os, alcoolisé jusqu’aux cheveux, ce proto punk au visage ravagé a traîné sa longue silhouette dégingandée jusque dans les soirées du Palace, s’autodétruisant méthodiquement jusqu’à l’heure d’un trépas aussi tragique que mystérieux. Ce parcours hors normes, deux livres le racontent : Alain Pacadis, itinéraire d’un dandy punk et Alain Pacadis Face B. Deux livres dont il faut croiser la lecture pour une vision plus juste de cette ombre qui n’a rien du passé.
Paca n’est pas synthétisable
Qui était Alain Pacadis ? Punk, dandy, journaliste, chroniqueur, homo, drogué, dépressif, suicidaire, intellectuel, mélomane … Figure incontournable de la scène underground parisienne, Paca n’est pas synthétisable, loin s’en faut. Celui qui en parle le mieux selon moi, c’est Musset : «Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail ; ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n’a pas la force de rire. C’est là un homme à craindre ?» En décrivant son Lorenzaccio, Musset avait-il en tête qu’il dressait avec un siècle et demi d’avance le portrait craché d’Alain Pacadis ?
Inspiré par William S.Burroughs, Hunter S. Thompson, Lester Bang et autres chantres de la littérature gonzo, Pacadis a fait exploser les codes du journalisme traditionnel à la française pour ne plus relater mais vivre. Chez lui, pas de séparation nette entre l’existence perso et l’écriture. Pacadis vivait ses chroniques de l’intérieur et avec passion, traînant dans les clubs, les squats, les afters, les concerts, tout en écrivant des articles qui mélangeaient reportage, poésie punk et journal intime. Défoncé à l’extrême, jamais il n’a rendu un papier en retard. Lettré, cultivé, curieux, crade, paumé, en quête perpétuelle d’amour, de reconnaissance, il avait tout du grand écrivain maudit, made in 70’s.
Détecteur de pépites, découvreur de talents
Pourquoi s’y intéresser ? S’il ne fut pas au cœur même du générateur, il en observa le cours avec attention, passant le gué des Sixties pour plonger dans le marigot punk avant d’embrasser la folie des nuits disco. Sa route a croisé celle de nombreuses célébrités, des figures de proue de la nuit parisienne dans ce qu’elle avait de plus dingue, de plus créatif, de plus avant-gardiste, de plus jusqu’au-boutiste. Yves Adrien, les Gazolines, Maud Molyneux, Marc Zermati, Jean-François Bizot, les Stinky Toys, Gainsbourg, Fabrice Emaer, on ne les compte plus, ceux qui firent partie de son cercle, qui furent ses proches.
Détecteur de pépites, découvreur de talents : véritable chien truffier musical, Paca va mettre en avant Suicide, Television, les Ramones, porter sur les fonds baptismaux médiatiques une bonne partie de la scène punk française avant de s’adonner corps et âme au nichtclubbing, sillonnant nuit après nuit Bataclan, Bains Douches et autre Privilège. Tout cela et un bouquin plus tard, prometteur Un jeune homme chic édité en 1978, on retrouvera son corps étranglé dans un taudis de la rue de Charonne. En pleine épidémie de SIDA, alors que ses potes tombent comme des mouches, Paca une fois de plus se singularise en se faisant buter par son amant d’alors.
Un héros néo-romantique ?
Pareil personnage méritait bien de devenir un héros littéraire d’envergure néo-romantique. Deux livres lui sont consacrés, qui valent largement le détour, véritables page-turner à compulser en une lecture exaltante et fiévreuse.
- Signé Alexis Bernier et François Bruot, Alain Pacadis, Itinéraire d’un dandy punk est publié en 2018 aux éditions Le Mot et le reste. Objectif : raconter la vie de Paca en le replaçant dans son époque. Biographie précise et prenante, ce bouquin donne à voir, par-delà le destin du journaliste, le Paris underground des années 70-80 avec un luxe de détails, d’anecdotes et de références. Débuts dans Libération, nuits passées à écumer les clubs parisiens et autres repaires de la scène alternative : l’exposé est vivant, électrique, une porte d’entrée idéale dans une époque prolixe où tout était possible.
- Alain Pacadis Face B de Charles Salles sorti en 2023 aux éditions La Table ronde, fait de Paca un héros de roman. Lunettes noires, cheveux collants, maigreur d’échalas, le journaliste est saisi dès les premières lignes en train de danser sur la piste du Palace. A partir de cette transe, Salles déroule le fil d’une vie racontée en mode introspectif, celle d’un homme emporté, détruit par ses doutes, ses culpabilités, ses angoisses, ses excès, ses addictions. Anticonformiste, perdu dans ses contradictions, poursuivi par la mémoire d’une mère vampirique et instable, bref Pacadis from inside, qui embrasse le mouvement punk comme une épiphanie, s’abîmera dans les modanités avant de disparaître de la plus glauque des manières, une nuit de décembre 1986.
Électron libre pour sûr. Damné, c’est certain. Excentrique, au sens premier du terme. Chaotique, volontairement. Pacadis ne doit pas tomber dans l’oubli ; ce serait la misère de trop. Ces deux ouvrages lui rendent hommage sans verser dans l’idolâtrie aveugle. Il s’agit plus d’interroger une énigme, un talent en perdition, alimenté/rongé par les spectres. Et d’ensuite plonger dans ses écrits dont Nightclubbing : Article 1973 – 1986, publication posthume de ses chroniques pour en goutter toute la douceur amère.
Et plus si affinités ?
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