Nous les avions laissés avec #7 sorti en 2013. Cinq ans plus tard, les fils d’Ulysse n’ont visiblement pas fait la paix avec eux-mêmes, en témoignent les 10 morceaux tout en déchirure de leur nouveau bébé intitulé The Outcome. Le résultat donc, après toutes ces années de scène, de studio, deux albums, des side projects, le départ de l’un d’entre eux, réduisant le combo au stade de duo pour un son plus ramassé, plus synthétique, pas forcément plus dark mais toujours aussi sinueux et dense.
Passons la texture très new wave de l’album, où les synthés sont omniprésents, florilège d’arpèges cosmiques torturés, pour aller plus avant dans l’ambiance distillée par l’ensemble. Un sentiment de gêne, de colère qui monte (classique chez les Nasser) mais qui ici se distingue par un changement subtil : plus d’explosion de rage dans un climax mélodique apocalyptique, mais un sentiment très net que le tsunami est canalisé.
L’âge peut-être ? Ulysse enfin a retrouvé Ithaque, après ses vingt ans d’errance forcée. Il dort nuit après nuit auprès de Pénélope, au visage, au corps fatigués par la trop longue attente, regarde son jeune adulte de fils, Télémaque, qu’il n’a pas vu grandir et qui désormais vole de ses propres ailes … Il est content Ulysse, d’avoir retrouvé la mère patrie, mais il faut bien l’avouer, il se fait chier, les Ailleurs un temps traversés lui manquent. Que ne donnerait-il pas pour repartir …
Seulement voilà, y a la vie quotidienne, la gestion du pays, les p’tits tracas, le poids du job … du coup, il faut canaliser la colère, dompter les frustrations, ravaler la rancœur … et continuer d’avancer. Pas forcément le sourire aux lèvres, ni avec conviction … avancer c’est tout. C’est cet amère constat, doublé d’une échine qui se courbe imperceptiblement sous les coups du sort, que Simon et Nicolas nous racontent, en une série de stances syncopées de pulsations nerveuses et outragées.
De ces petits poèmes de la renonciation en marche, on retiendra le magnifique « The Outcome » qui ouvre l’album sur un morceau ensorcelant évoquant les grandes heures de Depeche Mode ; « Rupture » se hache de riffs de guitare explosifs corsetés par la récurrence du synthé, « The end » confronte également le renoncement d’une voix fataliste profonde et tranchante ; « Ghost radio » inquiète par son style éthéré, fantomatique, oppressant ; « Listeners » monte la pression d’un cran pour prendre l’auditeur à la gorge … Ainsi Nasser nous impose une série de sensations pas forcément agréables, nous conditionne dans une contradiction.
Dansant à n’en pas douter, The Outcome dérive vite dans la transe, traçant de manière imperceptible des visages enfiévrés de doute, d’angoisse, entrecoupés de confessions japonaises qui claquent comme la lame d’un sabre. L’ensemble confirme Nasser comme un groupe de très grande qualité, capable de manipuler les tendances contraires avec virtuosité et un sens profond des antagonismes humains, posant ainsi la terrible question : qu’est-ce qui est le plus difficile à admettre : une lutte qui n’aboutit pas ou la conscience qu’on est en train de perdre l’énergie de se battre, qu’on va finalement accepter ?
Et plus si affinités