Lorsqu’on évoque Andres Serrano, l’œuvre Piss Christ résonne comme un choc mémorable dans l’histoire de l’art contemporain. Pourtant, c’est dans The Morgue, une série de photographies réalisée en 1992, que l’artiste révèle toute sa puissance, l’acuité d’un visionnaire, d’un artiste pétri d’humanité. Pour comprendre The Morgue, il faut se plonger dans le contexte de sa création, dans les obsessions d’un homme fasciné par les limites de la vie, et dans les obstacles éthiques qu’il a dû surmonter pour capturer ces instants figés dans le néant.
Une approche baroque de la mort
Comme son nom ne l’indique peut-être pas, The Morgue englobe une série de portraits réalisés dans le cadre d’un institut médico-légal new-yorkais. Il ne s’agit pas ici de photographier les employés mais les cadavres. Nous sommes en 1991 et Serrano va ainsi accomplir une série de clichés inspirés à la fois du réalisme le plus cru, du style baroque et de la tradition de la photographie post-portem.
Sur un fond noir, les corps, recouverts de linceuls, n’apparaissent que partiellement : un front, une bouche, des doigts, des pieds, une oreille. Blessures, brûlures, sang caillé, pâleur, rigor mortis, décomposition, traces d’autopsie, l’horreur du corps décédé, supplicié, disséqué n’est pas tue ni cachée mais mise en scène dans une esthétique de gisant médiéval, de statue religieuse.
Allier le spectaculaire et le morbide
Martyre moderne, réalité du trépas sous ses formes les plus violentes, les plus odieuses, les plus injustes : The Morgue prend racine dans une fascination que Serrano a développée dès son plus jeune âge pour la mort et le sacré. Issu d’un milieu catholique strict, son regard sur la mort est teinté par la spiritualité, mais aussi par une vision de l’existence où l’éphémère et le grandiose coexistent.
Dans l’art baroque, la mort est omniprésente, souvent représentée de manière théâtrale, exagérée, et contrastée par une lumière intense, presque divine. Serrano puise dans cet imaginaire pour orchestrer The Morgue, alliant le spectaculaire au morbide, tout en conservant une grande dignité pour les sujets photographiés.
L’art, miroir de nos peurs
L’accès aux morgues n’a pas été immédiat. Serrano a dû convaincre autorités, médecins et familles pour pouvoir photographier les corps. S’il a rencontré des résistances bien compréhensibles, il a toujours insisté sur le respect des corps, expliquant que son intention n’était ni de choquer ni de déshumaniser, mais de capturer la beauté tragique de la fin de vie.
Et de développer une réflexion sur la condition humaine, sur la fragilité de l’existence, et sur le rôle de l’art en tant que miroir de nos peurs les plus profondes. Voici pourquoi il ne se contente pas de documenter la mort ; il la met en scène. Chaque photographie est composée avec une attention méticuleuse à la lumière et à la couleur, rappelant les tableaux baroques de Caravage ou Rubens.
Un défi contemplatif
Serrano transgresse certes mais il le fait avec une sorte de révérence. Il défie les conventions de l’art et de la société en représentant la mort de manière directe et sans fard. Pourtant, il ne tombe jamais dans la vulgarité ou le sensationnalisme. Ses photographies sont silencieuses, contemplatives, presque méditatives. Elles nous forcent à affronter ce que nous préférons souvent ignorer : la finitude de notre existence.
Sa fascination pour la mort est enracinée dans une dualité : la mort est à la fois la fin et une forme d’éternité. En photographiant ces corps sans vie, Serrano leur donne une nouvelle immortalité, figée dans l’art. The Morgue est une série puissante précisément parce qu’elle ne cherche pas à choquer ou à provoquer, mais à faire réfléchir sur notre propre mortalité. Elle nous rappelle que la mort fait partie intégrante de la condition humaine, et que l’art, dans sa forme la plus profonde, est là pour nous confronter à cette vérité inéluctable.
Pour en savoir plus, consultez le site d’Andres Serrano.
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