Magnifique tragédie de Racine, peut-être même une des plus belles, Andromaque est ce soir rejouée et actualisée au théâtre de la Croix Rousse par Frédéric Constant. La représentation des passions reflète des personnages « ni tout à fait bons, ni tout à fait mauvais » selon les mots de Racine lui-même. Trois heures plus tard, l’émotion tragique est à son comble, on retient son souffle, Racine est presque parmi nous.
Chacun conserve un souvenir plus ou moins clair de la tragédie du XVIIème siècle, entre une œuvre très scolaire ou un coup de foudre littéraire, Andromaque ne laisse personne indifférent. Ici, le metteur en scène, Frédéric Constant, réussit le pari de réactualiser ce chef d’œuvre classique en le transposant pendant l’Entre deux guerre. Loin de dénaturer ce panthéon de la littérature, il lui offre un nouveau visage. Andromaque c’est le lendemain de la guerre de Troie, une période censée représenter la paix en devenir qui se retrouve face à ses propres failles dans un péril à venir. Le parti pris des costumes renvoyant aux années 1920 – 1930 insiste sur cette période de pseudo-paix, laboratoire d’un nouveau désastre. Cette magnifique mise en scène réduit la distance entre le classicisme et le spectateur, l’alexandrin y est magnifiquement mis en valeur.
Les bienséances de Boileau ne sont pas tout à fait respectées, mais ne soyons pas trop puristes et reconnaissons la magie du décor qui s’anime. Ces jeux de camera et ces grandes colonnes qui se déplacent en rythme inspirent là aussi terreur et pitié. Dans le même registre on se souvient avec émotion de la magnifique version du Phèdre de Chéreau, celui où loin de cacher la violence, le corps ensanglanté d’Hyppolite descendait sur la scène. Racine aujourd’hui c’est peut être ça, une actualisation sans dénaturation.
Patrie de la pureté, l’œuvre par son vers noble participe à la catharsis, doctrine célèbre selon laquelle la représentation des passions et des crimes peut aider le spectateur à se purifier de ses mauvaises pulsions. Des observateurs superficiels ont voulu faire d’Andromaque ou de Phèdre des héroïnes morales. Andromaque cependant ne défend pas la fidélité conjugale, elle défend la fidélité amoureuse. En effet ce n’est pas une loi sacrée qu’elle observe ni une obligation, c’est la liberté d’aimer un mort qu’elle réclame et seulement cela. Alors loin d’un traité de morale, elle sacrifie sa fidélité d’épouse, puisqu’elle mourra en femme de Pyrrhus, mais non sa fidélité d’amante. Ainsi Racine apporte dans son siècle une sauvagerie inconnue et surprenante, il n’y a pas plus impitoyable. Il ne nous défend pas d’avoir pitié, mais aucun de ses personnages ne cédera. La cruauté des héros de Racine est celle du destin qui agit en eux. La parfaite pureté de l’homme nait à son contact le plus étroit avec la fatalité.
Il y a du suspens dans Andromaque, évidemment comme on le dit souvent, tout le monde va mourir. Mais l’essence de l’œuvre ne se situe pas dans la finalité, celle-ci guidée par la fatalité on la connait. Le suspens réside dans le dénouement tragique. Comment à partir d’un schéma de : « Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort » va-t-on arriver à un dénouement, aussi tragique soit-il ? Le jeu de scène des acteurs est ici remarquable et nous laisse espérer à chaque instant. Anne Sée, Andromaque, et Frédéric Constant, Pyrrhus, nous laissent découvrir un jeu d’acteur relevant tout le tragique de l’œuvre.
On ne sort pas indemne d’Andromaque et encore moins d’une si belle adaptation. Le théâtre de la Croix Rousse nous enchante par tant d’émotions. Malgré tout ce qui sépare l’univers de Racine du nôtre, les problématiques continuent à nous toucher : la guerre, la paix, la morale, le mal, l’amour, le désir, la folie et la mort. Autant de thèmes qui feront vivre Racine et sa tragédie très longtemps.
Et plus si affinités
http://www.croix-rousse.com/Saison-13-14/Les-spectacles/Andromaque