Molinier … le nom évoque un parfum capiteux et glamour, une maison de haute couture, l’élégance surannée d’un sofa … et ce n’est pas totalement faux : du haut de ses talons aiguille, corseté comme une catin, le derrière tendu dans l’attente du fouet ou du dard, Pierre Molinier demeure d’une classe absolue, sourire aux lèvres et visage impassible. Peut-être parce qu’il est simplement heureux, épanoui dans cet auto érotisme qui nourrira son œuvre picturale.
Naturel et décomplexé, visionnaire et sans entrave hormis celles qu’il se passe volontairement aux membres avant de laisser l’objectif faire son oeuvre de mémoire. Coquin ? Porno ? Provocateur ? Ou purement artiste, qui ne souffre aucune limite, aucune convention ? Déjà très prisé des collectionneurs, Molinier défraie de nouveau la chronique au travers d’une vente aux enchères que lui consacre Drouot, précédée d’une exposition éclair au coeur de la Maison Européenne de la Photographie, qui accueille les pièces à négocier.
Des pièces inédites et c’est ce qui fait tout le prix de l’évènement : une trentaine de collages inconnus du public, des photomontages qui approfondissent notre connaissance des techniques appliquées par l’artiste, des découpages parfois soulignés de fusain, des peintures et des dessins préparatoires, … ainsi que des objets, les accessoires dont se servait Molinier pour scénariser ses fantasmes : lingerie, chaussures, tabouret, psyché, fouets, masques, pistolets… cette magnifique jambe bouquet, un haut de forme … ou quand Mandrake le magicien se métamorphose en divine putain androgyne, transgenre cosmique qui réinvente les codes d’Eros et de Thanatos du fin fond de son atelier anonyme …
Comment faire le lien entre le portrait de ce vieux monsieur insignifiant qu’on voit marcher dans la rue un cabas à la main, et ce prêtre de Vénus, échappé d’un roman de Sacher-Masoch pour offrir ses intimités fièrement impudiques à la caméra ? C’est justement là le magique, Molinier aux multiples visages rappelle que c’est lui qui enchante ces objets du commun pour les charger de puissance érotique et mortifère, lui qui orchestre ses suicides photographiques avant de s’ôter définitivement la vie quand il apprend qu’un cancer lui ronge la prostate et la sexualité.
Chaman interlope et menaçant, « maître du vertige » selon les termes d’André Breton qui prendra le large quand Molinier dépassera les bornes sexuelles, en cela plus surréaliste que le pape du mouvement lui-même, les clichés et les objets présentés à la MEP portent en eux une atmosphère sublime qui trace un lien direct avec un Clovis Trouille, un Joel-Peter Witkin, un Jean-Luc Verna. Terriblement attractif, Molinier laisse un héritage que certains revendiquent avec autant de courage et de volonté. Il n’en demeure pas moins unique et seul, sans jamais apporter de réponses aux questions qu’il suscite, c’est sa force ultime.
Malaise, fascination, interrogation, aujourd’hui encore l’artiste demeure en avance sur ce futur qu’il a dépassé de prime abord. C’est la marque des Pythies créatives qui par leurs excès prophétiques éclatent la dimension temporelle et se connectent avec l’universel, l’infini. Cela mériterait une collection officielle, en lieu d’une dilapidation dans des fonds privées … mais jamais Molinier, préférant l’isolement mystique de l’ermite, le retrait de la courtisane au fond de son alcôve, le repos du défunt décomposé dans la froideur du cercueil, n’aurait toléré l’officiel : cela annihile pour jamais la naissance de la légende, l’émergence des mythes. Mieux vaut la marge.
Et plus si affinités
http://www.drouot.com/static/drouot_evenement_detail.html?idActu=14329