D’argent et de sang : la série s’impose en tête des audiences avec 25 millions de visionnages pour la première saison diffusée fin 2023. Le thriller financier signé Xavier Giannoli plaît au public. Encore faudrait-il ne pas oublier que derrière cette véritable épopée se love une histoire sordide d’escroquerie qui en dit long sur les failles de notre société. Et pour s’en convaincre, il faut impérativement parcourir le livre qui a inspiré la série ainsi que le documentaire Les rois de l’arnaque. Explications.
D’argent et de sang – La série
En deux volets particulièrement énergiques, Giannoli évoque les temps forts de l’arnaque du siècle, à savoir le scandale de la taxe sur les « quotas carbone ». Cette traque gigantesque nous entraîne aux quatre coins du monde dans le sillage d’un magistrat incorruptible bien décidé à coincer une petite bande d’escrocs qui ont fait du marché des quotas carbone leur nouveau terrain de chasse. Avec à la clé des milliards d’euros qu’ils dilapident sans même s’en cacher. Sauf que cela va tourner mal. Les morts vont s’enchaîner dans ce climat de folie dépensière où l’argent n’a plus aucune valeur.
Le récit de Giannoli donne à voir des personnalités très fortes, des profils torturés, des egos complexes, dont certains sont complètement détachés de la réalité. Fraudeurs issus de la diaspora tunisienne de Belleville ou traders fous, il n’y en a pas un pour racheter l’autre dans ce marigot dans lequel on se fait très vite dévorer. S’il évoque le climat économique qui encourage pareilles dérives, le réalisateur se concentre surtout sur la rythmique de sa narration, la psychologie de ses protagonistes. Le tout accouche d’une saga à la Narcos, dixit le générique qui rappelle sur bien des points la série de José Padilha consacrée au parcours de Pablo escobar, dont le leitmotiv était «plata o plomo« .
Vincent Lindon, Niels Schneider, Ramzy Bedia et consort : le casting y est pour beaucoup dans cette course-poursuite à la limite de la nausée, nausée alimentée par ce déluge de fric piqué au nez et à la barbe de l’État pour finir en fumée, littéralement claqué aux yeux de tous par des petits malfrats, petits malfrats dépassés par le rouleau compresseur qu’ils ont eux-mêmes déclenché. Une fable de la dinguerie moderne, la course au fric, au luxe, au statut social, quelque chose de profondément malsain, qui autorise les pires dérives, les trahisons les plus abjectes.
D’argent et de sang – Le livre
Une fable ? Soulignons que la série de Giannoli est adaptée du livre du même titre, sorti en 2018. Le journaliste Fabrice Arfi y déroule les différentes strates de son enquête sur l’affaire de la taxe carbone. En citant des noms, des chiffres, en posant un cadre, en ancrant son analyse dans un paysage économique, une réalité climatique et politique, il démonte la mécanique d’une escroquerie qui n’a finalement rien d’original si ce n’est que des escrocs spécialisés vont l’appliquer à un terrain beaucoup plus large et juteux que ceux où ils évoluaient jusqu’alors.
Cette investigation élargit le champ de vision de la série, ne serait-ce qu’à propos des victimes, plus nombreuses que ce qui est montré dans la fiction. Le personnage de Simon Weynachter, totalement inventé, disparaît. Reste le travail d’enquête mené avec précaution et opiniâtreté par le reporter, son implication, ses questions, son regard critique. Sa volonté farouche de souligner la véracité de ses dires, dès les premières lignes : «L’histoire relatée dans cet ouvrage n’est pas inspirée de faits réels ; elle est réelle.» Comme si ce qu’il va mettre en évidence au fil des pages est tellement dingue qu’il faut en rappeler le caractère concret, exact, vérifiable. Pour preuve : les sources documentaires citées à la fin du livre en sus des entretiens menés avec les différents acteurs de cette tragédie sordide.
Et le point de vue sur l’histoire de la « tève », la fraude à la TVA, apparue quasiment dans le sillage de cette mesure fiscale durant les années 50. Et la plongée dans la pègre tunisienne qui colonise Belleville, histoire de cerner le milieu dans lequel grandissent les protagonistes de cette affaire détonante. Arfi sait y faire pour poser le contexte, mettre en évidence les motivations, le background familial, culturel et social de chaque acteur. Car il s’agit avant tout d’une histoire de famille, de clans, d’amitiés, fidèles ou trahies. Chaque ligne complète et nuance le propos de la série, apporte un regard journalistique plus pondéré, cependant essentiel pour mieux comprendre cette mécanique.
Les rois de l’arnaque : le documentaire
On pourrait s’arrêter là, mais ce serait dommage de laisser de côté Les rois de l’arnaque, l’excellent documentaire de Guillaume Nicloux. Diffusée sur Netflix, cette enquête réalisée en 2021 aborde l’affaire de la taxe carbone en se concentrant sur ses protagonistes, notamment Marco Mouly, devenu Alain Fitoussi dans la série D’argent et de sang. La caméra de Nicloux colle aux basques d’un Mouly fort en gueule qui apporte sa version des faits.
L’éclairage est intéressant à plus d’un titre, véhiculant son lot de questions : qui est vraiment ce garçon ? qu’est-ce qu’il cache comme secret ? s’est-il contenté de voler ou est-il allé plus loin ? ce qui est sûr, c’est que malgré la prison, Mouly est demeuré le même, continuant de frauder avec des airs de grand prince, belles fringues et chaussures de prix, automobiles de luxe et montres de collection. Un mode de vie, une fierté, une grande gueule… une nature.
L’occasion de mesurer l’incroyable travail de composition de Ramzi Bedia qui interprète le rôle dans la série , avec une évidente maestria qui confine au caméléon. L’opportunité par ailleurs de mettre des vrais visages, des photographies sur ces faits, de leur donner une couleur, des contours, et de mesurer leur frappante actualité. Aujourd’hui encore, le mystère demeure, une grande partie de l’argent détourné s’est évanoui dans le labyrinthe des comptes offshore et les enquêteurs, bluffés, restent sur leur faim. Pour combien de temps ?
Carbone – Le film
2017 : Carbone déboule sur les écrans. « Inspiré de faits réels » indique le générique. De fait, Olivier Marchal, avec son expérience de flic, sa connaissance du milieu, son sens du récit qui claque, a tout de suite, et le premier, flairé le potentiel narratif du « casse du siècle ». Il en reprend les grandes lignes pour accoucher d’une tragédie policière moderne dont lui seul a le secret.
Prenez un jeune entrepreneur d’origine modeste, mariée à une fille de la haute, méprisé par un beau-père fortuné qui écrase les autres avec son fric. Criblé de dettes, le jeune entrepreneur ne veut pas perdre l’entreprise que son père lui a léguée. Il ne veut pas non plus perdre son fils que beau-papa menace de lui enlever. Une seule solution : trouver du fric. Vite. Très vite. C’est alors qu’il a vent des quotas carbone. Et d’une faille liée à la TVA. Une faille qu’il va exploiter grassement avec deux de ses potes, petits escrocs notoires.
Seulement voilà, ce genre de trafic attire très vite les gros voyous. Le cercle de violence se déclenche, qui va tout détruire. Initié à ce type de mécanique, Marchal en restitue les étapes sans fioritures, s’appuyant sur un casting où Benoît Magimel donne entre autres la réplique à Dani hypnotique dans son rôle de mafiosa. Le tout se tient, soulignant avec virtuosité et pertinence le drame humain derrière l’escroquerie en bande organisée.
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