1955 : un jeune grec débarque à Paris pour y faire ses études. Rien ne trahit alors sa destinée de grand réalisateur, d’artiste engagé. Et pourtant, en débarquant dans la Ville Lumière, celui qui n’est pas encore Costa-Gavras enracine son parcours dans le terreau fertile d’un après-guerre promis à toutes les mutations.
Et nous voyons ce jeune garçon passer des études de lettres aux cours de l’Idhec où il pose les bases de son travail de metteur en scène et de cinéaste. Les rencontres s’enchaînent, au gré des stages sur plateau puis des jobs d’assistant metteur en scène où il épaule Verneuil, Clément, Becker, Giono …
Montant et Signoret s’ajoutent à la liste de contacts vite devenus des amis intimes …
Le premier film arrive presque par magie : Compartiments tueurs inaugure la longue liste de ses œuvres, de ses choix également car Costa-Gavras, on le découvre au fil des pages, a souvent dit non, refusant certains projets pourtant séduisants, par exemple Le Parrain. Avec un sens très juste, lucide, de ses possibilités, de ses volontés, du stade final où il désire porter ses projets.
Des projets sinon militants du moins engagés, où il donne à voir la barbarie et la misère humaine. Et qui l’amènent à travailler avec les plus grands, en France et à l’étranger. Qu’il s’agisse d’acteurs emblématiques comme Jack Lemmon ou Dustin Hoffman, de la jeune garde des comédiens français des 60’s, Jacques Perrin propulsé producteur par la même occasion, Jean-Louis Trintignant, Bernard Fresson … d’auteurs tels Jorge Semprun ou Jean-Claude Grumberg, d’hommes politiques, Allende, Kouchner …
Très simplement mais avec conviction, Costa-Gavras donne à voir le temps qui passe avec ses changements, bons ou mauvais, superposant son histoire personnelle, amoureuse et familiale, sa carrière, l’évolution du cinéma et les transformations de notre monde. Le regard n’est pas celui d’un militant farouche, loin de là. Le réalisateur observe ce qui l’entoure avec curiosité, autant de recul que possible, pour nourrir ses films. Quitte à fâcher.
Son approche met en évidence le mélange délicat entre savoir-faire, maîtrise technique, talent et flair. On comprend en lisant ces lignes qu’une production est chose complexe … qui peut s’enclencher sur un claquement de doigts. Qu’un film prend parfois des années avant d’être projeté. Qu’il nécessite de la passion, une profonde conviction. C’est à ce niveau que se mesurent les engagements, autant voire plus qu’au niveau politique.
Ce récit passionnant met en lumière une conception rayonnante du cinéma, ancrée dans un milieu professionnel où tout fonctionne par contact, où l’amitié est souvent le socle et le fruit d’un tournage. La réalité du business, les différences entre cinéma européen et américain, la folie des festivals, la grandiloquence des honneurs voisinent les dialogues émouvants avec des grands comme Allende, avec des anonymes venus en projection, plaçant tous ces personnages au même niveau humain, dans ce mouvement incontrôlable qu’est la vie.
Le titre, inspiré d’une citation de l’auteur grec Kazantzakis, résume ce parcours hors normes, où transparaissent les tragédies de l’ère moderne, que Costa-Gavras a captées et transmises comme le faisaient les aèdes de la Grèce antique. « Va où il est impossible d’aller » jusqu’à ce film très récent sur le sort de la Grèce dépecée par l’Europe … et après ? Combien de films encore pour raconter la geste du monde moderne, ses secousses, ses avidités, sa monstruosité ? Le réalisateur ne pose pas la question, mais elle demeure en suspens, donnant plus de prix encore à ces mémoires.
Et plus si affinités
http://www.seuil.com/ouvrage/va-ou-il-est-impossible-d-aller-costa-gavras/9782021393897