Consacré à la thématique Masculin/Féminin rassemblant les questionnements du genre et de la représentation des sexes et de la sexualité sur scène, le festival Automne en Normandie 2013 a notamment proposé deux moments phares intitulés Les Nuits de folie, la première au Havre, la seconde le lendemain à Rouen. Deux moments phares et deux moments forts avec au cœur de marathon, un panel se spectacles brassant danse, théâtre, performances, concerts et DJ sets.
Moments phares, moments forts
De quoi interpeler tous les publics, toutes les cultures, tous les intérêts. Et l’occasion pour nous de saisir in situ les multiples qualités et la réelle portée de ce travail et de cette réflexion. Nous débarquons donc le vendredi 22 novembre à Rouen, en début de soirée, dans une ville encombrée dont tout un quai accueille la foire Saint Romain, ses manèges, ses attractions et ses lumières.
La coïncidence est cocasse et chargée d’enseignements : il fut un temps où ce genre de foire exhibait parmi ses attractions, femmes à barbe, hermaphrodites, et autres ambiguïtés sexuelles qualifiées de freaks. Or ce soir, les freaks ont quitté l’underground des tentes et des roulottes pour investir théâtres et salles institutionnelles de leurs outrances et du récit de nos détresses affectives communes.
La veille au Havre …
Déjà la veille au Havre, le ton avait été donné de façon magistrale avec Le Tourbillon de l’amour, sulfureuse focale sur la vie sexuelle des modernes nippons, tableau sans pitié signé de la main du très inspiré Daisuke Miura, et qui détaille avec un luxe naturaliste les fantasmes pervers de ses contemporains. Clash culturel ou miroir tendu à nos errances devenues communes en ces temps de cyberglobalisation Ivo Dimchev, diva transgressive et multisexuée venue de Bulgarie, avait entamé les hostilités en posant la logique de la soirée au Tétris au travers du frénétique Lili Handel qui expose son intériorité féminine sous les traits d’une prima donna fanée et en fin de carrière. Après le tourbillon des affects nippons qui explosent la salle du Volcan Maritime, retour au Tétris pour une DJ Extravaganza, emmenée par l’ingérable canadienne Peaches reine de la queer culture avec dans son sillage Godmother, Anarchiks, Mad Kate/The Tide, Kool Thing, Narcissister, Empress Stah.
Le sexe de nos viscères
A Rouen nous retrouvons la même répartition des forces, avec une fin de soirée parachutée au 106, nouvelle SMAC rouennaise, qui accueille Ido Dimchev, débarrassé de ses oripeaux lilihandeliens pour nous offrir un tour de chant modulé de sa voix tragique où le vibrato évoque un castrat égrenant le registre du Torch song. Dans le même temps, la grande salle s’anime des premières notes de Switch, nuit du genre, attaquée par le duo transgenre et rouennais Valeskja Valcav qui prépare le terrain avec son electro trash pour les sets de Zebra Katz et Ivan Smagghe.
Le parcours a pourtant débuté au Hangar 23, avec le saisissant House, ballet orchestré par la très talentueuse Sharon Eyal sur la musique syncopée et hypnotique du musicien electro Gai Behar. Les danseurs de la compagnie L-E-V y évoquent le milieu du clubbing et le jeu de séduction et de jouissance débridée qui s’y déroule, ébauchant d’un déhanchement outrancier, d’une désarticulation d’épaule, d’une torsion de main, les convulsions des corps en obligation de prendre du plaisir. Exigence de succès, impératif de réussir, stress de la solitude s’expriment dans l’abandon des attitudes, les regards apeurés, les bouches lascives pour dire à quel point le sexe est inscrit dans nos viscères comme voracité et terreur.
L’enfer, c’est les autres ?
Que conclure de ce marathon ?
- L’intensité demeure l’impression la plus forte, dans la musique, dans la danse, dans les gestes, dans les paroles.
- Soulignons également la concentration d’un public présent, attentif et impacté, qui vient avec curiosité et intérêt.
- La prise de conscience est évidente qu’au bout du compte nous sommes tous des « freaks » et que la normalité n’existe pas, n’est qu’un mythe rassurant mais ô combien trompeur car une négation complète de nos différences
- Notre point commun demeure, reste et s’affirme comme un besoin d’aimer et d’être aimé, dans le respect de ses tendances, de ses penchants, de ses envies, tout en respectant celles d’autrui
La problématique qui ressort de toutes ces performances reste celle de l’affirmation et de l’acceptation de soi, la manière de se faire reconnaître des autres. Ou comment repositionner, interroger et annuler la fameuse maxime sartrienne : « L’enfer c’est les autres ».
Et plus si affinités