À ceux qui pensent que, pour être un bon photographe, il suffit d’appuyer sur le déclencheur d’un Reflex, je suggère vivement de consulter la série Preuves d’amour de Camille Gharbi. Et de méditer… sur le travail fourni… sur le sujet traité… sur la responsabilité du photographe confronté à la violence sociale, et qui doit en faire état pour marquer les consciences. Durablement.
Un véritable pari dans ce climat d’infobésité où une image chasse l’autre, où le flot des données noie le cerveau en surchauffe, où le sentiment d’impuissance envahit l’âme et pousse à la fuite en avant, au déni. Face par exemple aux violences domestiques, aux féminicides qui s’accumulent, on compte les mortes, avec la presse en porte-voix d’une atrocité quotidienne qu’on banalise depuis qu’on en mesure l’ampleur.
Femmes assassinées vs « armes d’opportunité »
La photographe Camille Gharbi commence à saisir la complexité du sujet de manière anodine : un Noël en famille à feuilleter la presse pour passer le temps, la rubrique des faits divers constellée de récits abjects, la prise de conscience nauséeuse que les victimes, d’âge et de milieu différents, sont tuées par leurs compagnons avec des objets du quotidien, des « armes d’opportunité » saisies dans une crise de fureur fatale : un cutter, un couteau de cuisine, une corde à linge, une casserole, un robinet …
Et des dizaines de comptes rendus, à longueur de colonne… « La récurrence de ces crimes est trop forte pour être fortuite. Elle révèle au contraire un profond malaise sociétal dont il est grand temps de prendre toute la mesure » explicite la photographe sur son site pour justifier sa démarche : saisir ces objets en majesté, comme s’il devaient apparaître sur une affiche publicitaire épurée et design… et les confronter avec le nom des femmes qu’ils ont permis d’assassiner, leur âge, la date et le lieu de leur décès.
Visualiser des statistiques effrayantes
Le résultat est absolument terrifiant, qui vous prend à la gorge, et donne à voir la rapidité sidérante avec laquelle ces accessoires sensés améliorer notre vie quotidienne peuvent se transformer en outils de mort. En une seconde. Cela dépasse toutes les infographies, les graphiques et les tableaux. Cela donne à visualiser des statistiques effrayantes : ainsi ce simple briquet, nous en avons tous un dans notre sac, qui servit à brûler vives sept femmes ; cette batte de baseball qui conduisit dans l’au-delà deux filles qui n’avaient rien demandé.
On retiendra plus particulièrement la longue liste de femmes assassinées par arme à feu … dans un pays où la vente d’armes est interdite. On retiendra également que cette approche photographique s’appuie sur un long travail de documentation et d’analyse, sur une réflexion de longue haleine pour donner à voir sans verser dans le spectaculaire. On retiendra enfin que les clichés, exposés au Cent-Quatre en 2019, évoquent des affaires survenues entre 2015 et 2017. Si l’actualité met en avant la portée de la violence présente, quid des brutalités domestiques en amont ?
Montrer la réalité du féminicide
Face à ces photographies, la mobilisation institutionnelle semble dérisoire, l’urgence évidente, les moyens minces. Pour sûr, les artistes ont un rôle majeur à jouer dans l’information et la mobilisation d’une opinion publique qui prend progressivement la mesure d’un phénomène sociétal alarmant, mais ne peut en ressentir la réalité tragique. En l’état, et avec une pudeur remarquable qui ne désamorce en rien l’atrocité de la situation, bien au contraire, Camille Gharbi nous confronte avec la barbarie domestique bien plus efficacement que tous les récits.
Elle désamorce par ailleurs le « crime passionnel » derrière lequel des centaines d’assassins se sont réfugiés au travers du temps pour justifier le massacre de leurs compagnes, et met en évidence la réalité du féminicide, intime ou d’honneur, comme un chancre épouvantable sur la prétendue modernité de notre pays, en théorie patrie des Droits de l’Homme.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur le travail de Camille Gharbi, consultez son site web.