Jean-Luc Navette. Illustrateur. Tatoueur. Reconnu. Au point de faire partie des artistes exposés lors de Hey ! Part I et consort. Au point de voir ses œuvres publiées dans une foultitude de recueils. Orner le fronton d’albums de rock, d’affiches de concerts, de festivals. Jean-Luc Navette, artiste incontournable de la scène dark, identifiable au premier regard tant son style est spécifique.
L’homme trauma
Ses sujets de prédilection ? La guerre, la Grande Dépression, les figures maudites du jazz, du blues, du rock … les bad boys du temps jadis, Apaches, gangsters … gueules cassées, putes camées, marins en perdition, prédicateurs hallucinés … On se souvient de ce « Champ du labeur » ironique et incisif à souhait, blessé jouant du banjo sous les bombes des avions meurtriers. Ou comment montrer la monstruosité des pauvres mecs sacrifiés au chant d’honneur de la patrie puis abandonnés par elle comme des déchets … Typique de l’univers mental du dessinateur. Seule porte de sortie, pour l’homme trauma : à défaut d’une rédemption, l’art ou la violence.
Ce qui revient au même … Second effet Peaky Blinders ? Navette opérait bien avant la sortie de la première saison. Mais les fêlures mentales des Shelby Brothers collent à cet univers malsain où les regards crient une douleur passive ou désirée, où les crânes transpercent les visages, où la mort rôde ainsi que le péché … un serpent qui rampe, un papillon mortuaire, une foule de microscopiques détails comme autant d’indices que la Bête est à l’oeuvre à chaque instant, dans nos corps, nos interactions, nos choix … Et ce sentiment de perpétuellement capturer l’image des morts, comme ces clichés victoriens de cadavres vêtus et souriants aux côtés des vivants. Post mortem, ante mortem … si semblables.
Un dessin torturé, scarifié
Dans ce trait identifiable entre mille, une précision diabolique jusque dans les éclaboussures, les craquelures, les écorchures … un dessin torturé, scarifié, hommage aux gravures d’Otto Dix, aux photographies de Dorothea Lange … à la folie sensuelle de Clovis Trouille, les fantasmes de Pierre Boulinier, la décadence sulfureuse de Joel-Peter Witkin … Une puanteur d’alcool, de cigarette, de vomissure, de décomposition … des relents de bordel ou d’hôpital, de sanatorium où les mourants baisent pour tromper la Faucheuse … les compositions de Navette se regardent et se respirent. Jusqu’à la nausée. Un sentiment spectral, un malaise affreux parce qu’on le savoure …
Le propos se veut caustique, sans pitié, malsain par son côté sale, précis par sa netteté de caricature de journal, nostalgique comme une photo de famille jaunie, qu’on retrouve dans un grenier, qu’on observe sans identifier ces gens dont on devine qu’ils sont de notre sang sans savoir comment. Un clin d’œil au blues démoniaque de Robert Johnson, une référence aux destins brisés, aux lettres des poilus morts dans les tranchées, aux images d’une époque qui hante encore nos esprits. Une saveur âcre de cendres, de vieux papier, une atmosphère sépulcrale, … les silhouettes de Navette sont dérangeantes comme l’ombre des disparus, les monuments aux morts, l’envers de nos lâchetés.
Et plus si affinités