Ce nouveau documentaire sur le prodige de l’art graffiti actuellement célébré par la fondation Vuitton, Jean-Michel Basquiat (1960-1988), long métrage signé Sara Driver, qui sort à l’occasion des fêtes de fin d’année, est une excellente surprise.
Malgré une séquence longuette pour le public français a posteriori pas bien concerné par le mouvement éphémère du Colab (Collaborative Projects Inc.), plus politique qu’artistique si l’on en croit le témoin Fab 5 Freddy, mais début véritable de la carrière météorique du peintre-junky membre du Club des 27 ou du Forever Club, malgré le silence sur sa bisexualité, malgré ou grâce à son silence absolu (le peintre est filmé à de très nombreuses reprises mais jamais on n’entend sa voix), l’opus nous en dit beaucoup sur son expression artistique, sur les différentes techniques employées, sur son proche entourage et sur le New York en pleine période punk et hip hop.
Pour une fois, les témoins sont tous intéressants. Ce qu’ils ont à dire, aussi. Le film restitue l’effervescence de cette époque, le sens du partage, le goût du collectif, le mélange de tous les arts (poésie, musique, peinture, théâtre, cinéma et danse), l’impression aussi d’un âge d’or. D’une ville en décomposition, abandonnée du pouvoir fédéral, en faillite économique, dégradée à l’instar, aujourd’hui, de notre cité phocéenne, rongée par la criminalité, la drogue, la misère, une nouvelle jeunesse, métissée comme jamais auparavant, a produit de nouvelles formes artistiques : le rap, la new wave, la mode vestimentaire, le retour de la figuration, etc.
En peu d’années, Basquiat s’est constitué. Bien entendu, et on le sent à travers les photos et les témoignages, il s’est un long moment cherché, il a suivi plusieurs stratégies, il a même tourné le dos à certaines amitiés (cf. la légende bicéphale de Samo, pseudo du duo qu’il a formé à ses tout débuts de graffeur avec son copain d’école Al Diaz), très sûr de lui au fond, ambitieux et malicieux, à la fois, comme le précise une de ses amies. Il était là où il fallait être, soir après soir, au Club 57 et au Mudd Club, le premier attirant les amateurs de champignons hallucinogènes, le second les héroïnomanes. Le commissaire Diego Cortez contribue et parvient à le lancer sur le marché de l’art.
Lorsqu’il fait son « coming out » artistique, révélant au monde de rapins de Soho qu’il n’est autre que le mythique Samo, son aura ne cesse de croître. Il peint sur ce qui se présente à lui comme support possible, pourvu qu’il soit fixes (jamais sur les métros, comme son collègue et vedette du film Wild Style, Lee Quiñones) : murs, palissades, cartons, porte de frigo (cf. « Grape Jelly »), fringues, etc. Il joue de la musique, oscillant entre bebop et son industriel. Il change d’identité, passe de Samo à Man Mad(e), explore tous les formats, de la miniature au grand format en vogue sous l’influence des œuvres murales d’un Keith Haring ou d’un Kenny Scharf et des tableaux « bad painting » de l’alors débutant Schnabel.
Avec peu de moyens, des entretiens avec des « clients » particulièrement bien sélectionnés, des archives filmiques et vidéographiques, des photos et des sons de tendance « planète rock », des diapos de ses chefs d’œuvre de lettres et de signes, d’écriture-dessin dernière période, on peut dire que la réalisatrice, connue jusqu’ici surtout comme productrice de Jarmusch (lui aussi interviewé), a réussi son coup.
Et plus si affinités
http://www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/basquiat/