Bel-Ami : depuis sa publication en 1885, le roman de Maupassant n’a cessé d’être adapté au théâtre comme au cinéma. L’ascension sociale de Georges « Bel-Ami » Duroy a durablement marqué les esprits par son audace et son côté crapuleux. Critiquant avec mordant cette société parisienne prompte à privilégier la réussite financière et politique d’un séducteur, Maupassant accouche d’un héros moderne qui frappe par son actualité : malgré le temps qui passe, la figure de Bel-Ami ne prend pas une ride. Pire, il est d’une actualité troublante à l’heure de « Balance ton porc » et « Me too ». Car c’est par l’exploitation des femmes que Bel-Ami conquiert la célébrité, et il le fait sans honte, abusant des unes, trompant les autres. Deux adaptations le mettent particulièrement en évidence : la mise en scène de Didier Long en 1998 et le film de Declan Donnellan et Nick Ormerod en 2012.
Bel-Ami selon Didier Long
1998 : Didier Long s’empare du chef-d’œuvre de Maupassant pour camper Bel-Ami sur scène. Le personnage s’avère ici un aventurier bien décidé à se tailler la part du lion dans cette jungle parisienne si rude à conquérir. Forestier, ami perdu de vue retrouvé sur les boulevards un soir de misère, lui ouvre les portes du journal où il travaille. Duroy gravit ainsi la première marche d’un succès qui s’avèrera foudroyant pour certains, fatal pour d’autres. L’adaptation de Pierre Laville souligne cette impétuosité par l’enchaînement endiablé des scènes qui jalonnent cette ascension.
Plateau nu ou presque, jeu ingénieux de tentures qui nous font passer en un claquement de doigts d’un restaurant au salon des Forestier à l’appartement où Clotilde de Mareuil retrouve son amant : cette cadence infernale souligne l’avidité d’un George Leroy sans scrupules. On le voit saisir les opportunités qui s’offrent à lui avec une voracité de jeune ogre. Face à ce monstre d’égoïsme incarné par un Pierre Cassignard au visage de charmant pirate, une galerie de femmes qui vont se laisser emporter dans une tourmente sensuelle aux saveurs amères de passion tragique : Macha Méril, posée et perspicace, Carole Richert, drôle et coquette, Geneviève Casile, si fragile…
L’ensemble est impeccable d’efficacité et de justesse, une traduction fidèle du roman de Maupassant jusque dans l’omniprésence de la mort qui hante le héros, soudain pressé de réussir pour enfin croquer la vie à belles dents et sans entraves aucune, grâce à l’argent amoncelé, à la fortune accumulée de mariage en mariage, de femme séduite et amante abandonnée. Difficile de ne pas voir Duroy pour ce qu’il est : un gigolo sans vergogne doublé d’un exploiteur de la faiblesse féminine dnas une société où ces dames n’ont d’autres possibilités que de tirer les ficelles du pouvoir qu’on leur refuse dans les coulisses et les alcôves.
Bel-Ami selon Declan Donnellan et Nick Ormerod
Après l’ascèse de la mise en scène signée Long, l’adaptation cinématographique de Donnellan et Ormerod s’impose par un délire de décors et de costumes qui parachutent Bel-Ami dans un Paris fin de siècle criant de vérité. Un Bel-Ami interprété avec maestria, il faut le reconnaître, par un Robert Pattinson d’autant plus convaincant qu’il prête à son rôle un côté calculateur qui a tout du pervers narcissique, du vampire psychique. Rongé par la misère qui le guette, ce Bel-Ami là va tout faire pour échapper à sa condition de petit fonctionnaire sans le sou.
Cela passe d’abord par une période d’initiation dont chaque étape s’avère un véritable combat. Le héros peine à s’imposer, il va devoir apprendre sur le tas, se confronter à bien des difficultés dans cet univers journalistique dont il ignore tout. On le méprise, on s’en moque, on l’exploite. Seules ces dames portent sur lui un regard bienveillant pour ne pas dire plus, regard qu’il sait rapidement détourner à son profit, syphonnant l’argent de l’une, les connaissances de l’autre, les relations d’une troisième. Prompt à la colère comme au calcul, le personnage se révèle un fin stratège doublé d’un psychologue acéré, jouant des manques de ses victimes pour les rendre dépendantes et en obtenir ce qu’il veut.
Pâle, nerveux, incisif, Pattinson campe là un Dom Juan moderne, dangereux par bien des aspects, obsédé par la peur de l’âge et du manque autant que de la mort. Pour lui donner la réplique, Uma Thurman, Kristin Scott-Thomas, Christina Ricci, Colm Meany, Philip Glenister : un casting parfait qui aurait probablement ravi Maupassant et qui fait ressorti le caractère sulfureux de son sujet, son style corrosif, la pertinence de sa critique. Fidèle à l’esprit du roman, Bel-Ami 2012 s’impose comme une lecture acérée d’un héros ancré dans une époque mais ô combien intemporel.
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