On l’a vu à l’œuvre devant la caméra, dans Californication, A vif ou Mad Max: Fury Road. Avec Blink Twice, c’est derrière l’objectif que se glisse Zoë Kravitz, pour nous asséner un récit foudroyant qui percute l’actualité de la manière la plus viscérale. Au cœur de son film, la thématique du viol. Mais pas n’importe quel type de viol.
Paradis, luxe… et drogues à gogo
Pitchons la chose : jeune, belle, ambitieuse, Frida végète dans un job de serveuse, jusqu’au jour où sa trajectoire croise celle du milliardaire de la tech Slater King. Apparemment hypnotisé par la demoiselle, ce dernier l’invite ainsi que son amie Jess et d’autres connaissances pour un week-end sur son île privée. L’endroit est paradisiaque, le luxe omniprésent : piscine de rêve, chambres somptueuses, champagne grand cru à la framboise, mets raffinés, parfums précieux, robes blanches griffées… et drogues à gogo.
Dans ce joli petit vaudeville où chacun flirte allègrement, le temps s’efface dans une atmosphère de plénitude lascive qui a tout de l’hébétude. Mais de petit signe en petit signe, Frida commence à s’inquiéter, surtout quand son amie disparaît. Qu’a-t-il bien pu arriver à Jess ? Pourquoi Frida et ses compagnes de jeu ont-elles ce sentiment d’oubli, des réminiscences comme des flashes mémoriels aussitôt gommés par l’abrutissement de substances dont elles peinent à définir la nature ?
Conte horrifique et déferlement de barbarie
Que leur fait-on absorber exactement et de quelle manière ? A quelle fin ? Pourquoi ces traces de coups sur leurs corps, ces courbatures, cette sensation de déjà vu ? La gentillesse de leur hôte est-elle sincère ? Autant de questions que Frida et ses camarades redoutent de se poser ; car, elles le pressentent, quand elles obtiendront leurs réponses, ce sera pour plonger dans l’horreur absolu, un déferlement de barbarie, un règlement de compte atroce.
Avec autant de dynamisme que de conviction, Zoë Kravitz signe là un premier long-métrage tout à fait honorable, doublé d’un conte horrifique qui jongle avec le revenge porn de manière on ne peut plus plausible. Naomi Ackie plante une Frida ô combien crédible, Channing Tatum tisse un Slater King effrayant et insondable. Christian Slater, Geena Davis, Kyle MacLachlan, Haley Joel Osment, Simon Rex… le casting autour d’eux est impeccable.
De la fiction à la réalité
Il fallait cela pour camper une histoire aussi terrible, dont on pourrait se dire qu’elle est un brin tirée par les cheveux si elle ne venait percuter de plein fouet l’actualité judiciaire française, secouée par le procès de Mazan. Quand elle commence à travailler sur le scénario en 2017, Zoë Kravitz a plutôt en tête l’affaire Weinstein et le mouvement #MeeToo. Difficile en regardant les séquences de ne pas non plus évoquer Epstein et la manière dont il se fournissait en jeunes filles pour alimenter les orgies organisées dans ses propriétés.
Mais le propos central de Blink twice étant la question de la soumission chimique (je n’en dis pas plus de peur de spolier), on scrute forcément ces images avec en tête le martyre subi par Gisèle Pelicot, que son époux droguait pour la livrer ensuite complètement inconsciente à des inconnus qui abusaient d’elle sans aucun scrupule. Hasard du calendrier, le film sort au moment où le procès de Mazan bat son plein. Difficile de ne pas faire le rapprochement et de trembler en imaginant que la réalité se calque ainsi sur la fiction.
Je n’en dis pas plus, vous jugerez par vous-même. En ce qui me concerne, Blink twice constitue un premier film réussi, de par la qualité des plans, de la photographie, de la direction d’acteur ; quant au scénario, il traite de manière coup de poing la question de l’exploitation sexuelle de la femme et du féminicide, dans ce qu’elle peut avoir de plus dégradant et odieux. Non, il n’y a pas viol et viol, et c’est tout le propos que d’en faire prendre conscience le spectateur.
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