Vive le phygital ! Ce mot valise fait désormais la pluie et le beau temps parmi les grandes marques désireuses de révolutionner les usages à l’heure du tout numérique. Concrètement ? La définition fournie par E-marketing.fr est des plus claires :
« Phygital est un terme apparu en 2013, contraction entre les mots « physique » et « digital », qui renvoie à une stratégie marketing. Le phygital commerce est un point de vente physique qui intègre les données et méthodes du monde digital dans l’optique de développer son chiffre d’affaires. »
Ou donc quand le digital s’invite dans les magasins et les points de vente pour en transformer l’usage, métamorphoser l’expérience client … et faire exploser les achats ! Cela vous semble encore un peu compliqué et abstrait ? Alors RDV d’urgence dans les rayons du Bon Marché qui a embrassé le concept avec enthousiasme via l’exposition Geek mais chic.
Soit 80 enseignes de luxe, qui ont joué le jeu, entre robot mixologue, création de rouge à lèvres sur mesure, fabrication de semelles adaptées et autres tours de magie où le virtuel, l’IA et la réalité augmentée s’invitent avec malice … et quelques bémols. Car si l’ensemble en jette forcément dans une scénographie qui évoque une pixellisation arty et multicolore, les choses tournent cours si les dispositifs lâchent. C’est ce qui advint quand nous débarquâmes sur le pop-up store Fendi, pourtant prometteur d’une expérience immersive forte dans l’univers du légendaire sac baguette, gage de sa réputation internationale.
Sauf que la démonstration prie l’eau quand la vendeuse réalisa que plus rien ne fonctionnait. Et personne pour résorber ce malheureux contretemps ; décidément la technologie est garce … surtout quand le personnel, visiblement peu connaisseur, n’a reçu aucune formation dédiée. Dommage le salon était charmant, de miroirs recouvert, une bonbonnière adorable. Par contre, l’effet fut plus mitigé : une marque de luxe, vouée au savoir faire et à la perfection, une perfection qui a un prix (comptez 1500 euros tarif de base pour un article de maroquinerie), qui met en avant un dispositif totalement dysfonctionnel … ce n’est pas franchement du meilleur effet.
Et des couacs de ce genre, nous en avons constaté plusieurs, alors que nous traquions les différents spots de ce parcours ingénieusement disséminé dans tout le magasin, histoire de faire passer les visiteurs dans tous les rayons pour tenter le consommateur qui sommeille en eux. Octave Mouret aurait adoré, et force est de constater que les techniques de marketing ciblés par Zola dans l’incontournable Au Bonheur des dames ont toujours droit de cité dans le Landernau du luxe, plus particulièrement chez LVMH, digne propriétaire du magasin. Tablettes un peu lentes à l’allumage, problème de prise en main des logiciels, manque de fluidité, catalogues produits grimés en jeux vidéos …
Le phygital a bon dos, décidément, qui détourne l’attention du passant via une illusion d’expérience, ébloui dans son égo par la conviction d’être un élu, rare chanceux destiné à vivre l’unique … et au passage à faire la promo gratuite d’une marque en allant dessiner sur une façade digitale des plus austères, triste doublure des parois flamboyantes réveillées par les street-artistes les plus prestigieux. Bref du marketing dans ce qu’il a de plus maladroit. Chic peut-être, mais pas un instant geek si l’on compare avec la frénésie des labs et des compétitions de e-sport. Et un brin cheap quand l’ensemble tombe en rade, nous rappelant que rien ne vaudra la précision d’un geste humain poli par les ans et la patience.
Qu’en conclure ? Le luxe cherche, on le sait, à capter l’attention des millennials, les consommateurs de demain, exigeants, versatiles, avides de sensations plus que du produit lui-même. Il se doit de maîtriser des techniques de pointe, ce qui participe de sa définition. Du reste LVMH a confié l’orchestration de l’exposition à Orbis, digne membre de la Maison des Startups LVMH (eh oui, LVMH s’est mis à la start-up – pour info le mot est féminin et invariable selon Le Robert donc pas de « s », merci), tout comme Kuantom qui mêle dégustation et tech ou Spoon et son robot interactif. Du coup Geek mais chic devient un peu un étalage des projets d’avenir du groupe sans le dire clairement … tout comme il veut démontrer que les enseignes plus classiques sont capables de s’y mettre aussi. Bref Geek mais chic relève de la technique marketing bien établie de l’exposition de marque.
Problème : en se faufilant dans les terres geek sans en avoir l’esprit ni la dextérité technologique comme nous avons pu le constater de visu, les grands noms du luxe ne risquent-ils pas d’y perdre leur âme, pire leur réputation d’excellence et leur vocation à protéger des savoirs ancestraux menacés par cette même technologie du futur ? A méditer en allant sur site, tester par soi-même ces applications dans le réel, pour se forger son opinion … et pressentir le devenir du commerce à l’heure du 3.0.
Merci à Marie Dollé qui m’a indiqué cette exposition, et à Benjamin Getenet pour ses avis éclairés.
Et plus si affinités :