Dans le hors-cadre du Théâtre de la Ville dépaysé-déménagé à l’Espace Pierre Cardin le temps qu’il faut pour que de grands travaux redonnent de l’éclat à la bonne vieille salle Sarah Bernhardt, nous avons assisté à deux pièces de fusion “jongle-danse” ouvertes au public “jeune” que nous voulons demeurer.
La matinée qui, dans le show business, démarre l’après-midi, se déroulait dans un des espaces réservés aux répétitions du bâtiment accueillant également les bureaux du théâtre, actuellement assez difficile d’accès en raison du marché de Noël occupant les allées, côté Champs-Élysées, et des barrières protégeant le palais présidentiel et l’ambassade américaine. Les deux opus présentés sont relativement brefs, certes plus distendus que deux numéros ou actes circassiens mais plus succincts que deux pièces de danse qu’on qualifiait autrefois de ballets. Ils ont bien des points en commun. Quoique non virtuoses, leurs auteurs-interprètes ont un talent certain ; ils limitent leur domaine d’activité à un agrès dont ils tirent des effets optiques, hypnotiques, insolites; en outre, la marche et la démarche sont le point de départ des deux propositions; la parole y est présente, sous forme de voix-off chez l’un, et de dialogue avec l’audience chez l’autre.
Les deux solistes viennent du monde du cirque. De ce qu’il est convenu d’appeler le Nouveau cirque, un mouvement artistique post-soixante-huitard apparu dans le sillage du Grand Magic Circus de Jérôme Savary, des Cafés-théâtres (dont le plus créatif fut Le Café de la gare, fondé par Romain Bouteille et Coluche); du théâtre urbain d’un Jules Cordières ou d’un Philippe Petit; du revival de la pantomime de l’après Decroux, celle de Marceau, Lecoq, Jean-Baptiste Thierrée, Victoria Chaplin; des chapiteaux de Gruss, d’Annie Fratellini et Pierre Etaix; du Cirque baroque, ou de celui de Barbarie, Gulliver, Bidon, Archaos, Plume, Aligre, Zingaro… Ce mouvement trouva son équivalence dans celui de la Jeune danse française qui fit son apparition quelques années plus tard, au milieu des années 70, grâce au Concours de Bagnolet de Jacques Chaurand (que, du reste, le théâtre de la Ville pastiche sous un “concept” démarqué de l’expanded cinema d’un Jonas Mekas), dont certaines figures marquantes comme Philippe Decouflé pratiquèrent également les arts circassiens.
Bruit de couloir de Clément Dazin mêle une danse fluide d’essence contemporaine au mime, aux lancers de courte trajectoire et à la manipulation agile, simple d’apparence, de trois petites boules blanches. Le décor se réduit aux ombres encerclant l’artiste. Les limites sont celles d’une virtuosité non revendiquée, d’une niche artistique des plus spécialisées, d’une poésie visuelle datant quelque peu. Nous sommes en effet loin des disciplines traditionnelles ainsi que de l’exploration en tous sens d’un même outil. The Whistle de Darragh McLoughlin trouve immédiatement sa cible : la part la plus enfantine qui est en chacun de nous. La routine use aussi d’une demi-douzaine de balles mais se rapproche rapidement du stand-up (qu’on traduit en français par “one-man-show”), avec des effets d’intermittence et de persistance rétinienne propres à la chronophotographie d’Étienne-Jules Marey – pour peu, bien sûr, que le public joue le jeu de la fermeture et de la réouverture des yeux sur commande, au coup de sifflet. L’interactivité, la participation, la complicité espiègle avec les spectateurs autorisent le jeune Irlandais à aborder des thèmes salaces et même politiques.
Pour le spécialiste Philippe Goudard, le cirque traditionnel est le temple d’une « liturgie d’actions extraordinaires, excentriques ou grotesques, érotiques ou morbides. » Ici, nous sommes plutôt dans le domaine des “petits riens”, si l’on reprend le titre d’un ballet de Noverre, celui des “petits gestes”, si l’on se réfère au regretté Dominique Bagouet. Un champ dans lequel la prouesse peut coïncider avec le geste quotidien.
Et plus si affinités
http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-BruitdecouloirITheWhistle-1120