Art brut : créations de personnes exemptes de culture et de formation artistique. Cette définition, on la doit au peintre Jean Dubuffet qui, le premier, constitua une collection consacrée à cette forme d’expression. Comme une quête, le désir de résoudre une énigme : issu d’une étincelle créatrice spontanée, originelle, pure, nullement façonnée par la formation, l’éducation, l’art brut interroge le thème de l’artiste inspiré par les dieux pour le meilleur et pour le pire, son statut et sa reconnaissance au sein de notre société. Carlo Zinelli illustre de manière flagrante cette problématique.
Dédoublement et atrophie
Né durant la tourmente de la 1ʳᵉ Guerre mondiale dans une famille modeste, il travaille à la ferme avant de s’engager dans l’armée. Solitaire, ce dandy amateur de musique et schizophrène est interné en 1947 à l’hôpital psychiatrique de San Giacomo alla Tomba à Vérone. Il y découvre la peinture, dans le cadre d’un atelier de thérapie d’art mis en place par le sculpteur et thérapeute d’art, Michael Noble. Zinelli produira ainsi environ 3 000 dessins, dont beaucoup ont aujourd’hui disparu.
Formes humaines et animales stylisées, motifs répétitifs, couleurs vives, personnages représentés de profil, visages simplifiés, membres disproportionnés, figures cernées d’inscriptions, de mots et de chiffres, qui semblent parfois aléatoires ou cryptiques : Zinelli emplissait la surface recto verso de ses créations, jouant sur la dislocation des contours, le dédoublement et l’atrophie, l’absence de perspective, la variation de l’échelle…
Quête de la pureté originelle
Cet univers pictural, profondément marqué par son expérience personnelle, sa perception de la réalité et ses luttes internes, mêle chaos et recherche d’ordre et de structure. Les thèmes de la guerre, de la nature et de l’enfance y sont récurrents, suggérant un retour constant aux expériences formatrices de l’existence, une quête de la pureté, de l’innocence originelles. C’est un témoignage vibrant de la puissance créatrice comme mode de survie, exploration intérieure.
Carlo Zinelli est décédé le 27 janvier 1974 à Chievo près de Vérone. Sa contribution à l’art brut reste inestimable, offrant un regard unique sur la complexité de l’esprit humain. Dino Buzzati et Moravia se chargeront de le faire connaître, Jean Dubuffet et André Breton l’admireront. Pourtant, jamais Zinelli n’eut conscience de réaliser une œuvre à part : il demeurera un artiste en marge, dont le travail n’a jamais été influencé par les tendances artistiques contemporaines. Son art pur et spontané continue cependant d’inspirer et de fasciner par sa force expressive et son authenticité.