Troisième et dernière bonne surprise de cet hiver hollywoodien, Carol confirme la capacité du cinéma américain à renouer avec son art de la fabrication. Cette constatation est à double tranchant pour Todd Haynes, metteur en scène à la filmographie respectable, mais justement un peu prisonnière de sa direction artistique. Depuis Loin du paradis ou la mini-série Mildred Pierce, on sait le soin apporté à chaque détail, casting, photographie, musique, décors, costumes … Mais il fallait sans doute, pour le réalisateur, passer à la vitesse supérieure, aller au-delà du vernis prestigieux qui retenait ses portraits et ses récits « à la Douglas Sirk ».
On retrouve ainsi les années 50 et cette fois l’adaptation d’un roman de Patricia Highsmith. Un New-York à l’approche de Noël. Immense magasin de jouet, petite vendeuse et grande dame. Rencontre, yeux grands ouverts et attirance. La mise en place de cette étincelle repose peut-être sur deux arguments visuels et matériels inattendus : un train électrique miniature (hypnose en boucle et existentielle, un rien triviale, de la vie aisée de Carol) et la photographie (que Therese pratique en amateur, hors de son temps de travail). Légères diversions et métaphores d’une autre vie possible pour les deux protagonistes.
Histoire d’amour ? Relation passionnelle sur fond de classes sociales ? La grande force de Carol est avant tout de décrire comment cette jeune fille et cette femme vont tenter de passer de plus en plus de temps ensemble, lors d’un déjeuner, d’une invitation. Jusqu’à cette virée en direction de Chicago, stoppée ironiquement dans la bourgade de Waterloo. Road-trip amorcé par un standard américain de Noël, à bord de la voiture de Carol, et formidable aubaine pour Todd Haynes de larguer les amarres de ses propres conventions, de se jouer des artifices de la reconstitution d’époque. On a, ici et là, beaucoup évoqué le cadrage du film à travers le motif de la vitre, mais il faut voir cette berline rouler au pas dans les rues de New-York lors d’un plan presque irréel, où le monde serait devenu maquette. L’effet est loin d’être spectaculaire ou grandiloquent, mais sa force est indiscutable dans le programme annoncé.
De restaurants (les fameux Dinner, en majesté dans ces années-là) en motels ou hôtels plus luxueux, autant d’étapes obligées et figures de style du road-movie, admirablement et sobrement photographiées par Edward Lachman, qui vont tracer et confirmer la voie vers la complicité et le désir des deux héroïnes. Il n’est alors plus question de mélodrame, mais d’échappée, de reprendre à son compte les promesses des enseignes du paysage ou rêve américain de cette époque, pour en faire un itinéraire vers la liberté … Avant que les choses ne se compliquent, que Carol ne soit ramenée à son statut de femme mariée et mère. Et que Todd Haynes, de retour à New York gère, entre dureté et délicatesse, cette romance contrariée de manière plus classique, mais tout aussi convaincante.
Tel un générique, on saluera sincèrement toute l’équipe du film, Cate Blanchett et Rooney Mara évidemment, Kyle Chandler, figure solide du père de famille isolé, déjà remarqué avec sa performance pas si lointaine dans Super 8. Et le score de Carter Burwell, passé maître dans l’utilisation, peut-être rétro, du haut-bois ou de la harpe, mais utilisés ici en instruments de velours majeurs du mélodrame.
Et plus si affinités
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