Qui se souvient des aspérités de la carte de Tendre, telle que la suivaient scrupuleusement nos jolies Précieuses du XVIIᵉ siècle ? Certes, Dom Juan n’aurait jamais eu l’once d’une chance avec ces dames (il ne s’y frotte guère du reste, trop peureux de se faire piquer par ces jolies guêpes intellectuelles à l’humour corrosif comme l’arsenic). Il n’en aurait pas été de même un siècle plus tard, si Athénaïs et ses petites camarades avaient croisé le chemin d’un certain Casanova, dont nous avons encore aujourd’hui tout à apprendre.
Le fringuant Vénitien et ses atouts
Le fringuant Vénitien aurait plu aux Précieuses, à coup sûr. Et il sut rester dans les mémoires pour le talent certain dont il faisait preuve dans l’approche séductrice de la gent féminine, qui fondait littéralement en pâmoison sans pour autant lui en vouloir de ses coups de canifs dans un contrat amoureux qu’il se refusa toujours à signer. Il faut dire qu’en dehors d’une libido riche et pleine de vigueur sur laquelle se sont d’ailleurs épanchés nombre de réalisateurs très inspirés), Giacomo avait pas mal d’atouts dans son jeu :
- particulièrement charmant même s’il était réputé laid ;
- habillé avec un soin certain pour ne pas parler de raffinement (ces messieurs des Lumières se paraient souvent de façon aussi extravagante que leurs consœurs, privilégiant dentelles, broderies, mouches, perruques poudrées à l’excès, parfums capiteux, bas brodés, boucles de chaussures et talons assortis ; pour ceux qui en doutent, visitez le Musée de la Mode, vous serez édifiés);
- ancien séminariste (un plus certain dans une Venise où les différents couvents se battirent proprement lors de la venue du Nonce du Pape, pour savoir dans lequel ce digne prélat choisirait sa maîtresse du moment, … oui, oui, parmi les bonnes sœurs, vous avez bien lu) ;
- aventurier (s’échappant de la prison des Plombs, espion, charlatan, magicien, franc mac, globe-trotter, un peu escroc au passage …) ;
- parlant italien, français (la langue des libertins), anglais, latin, … ;
- violoniste (d’aucuns prétendent qu’il participa à l’écriture du livret de Don Giovanni, prêtant ainsi main forte à Da Ponte, le librettiste de Mozart, ce qui aurait apporté ce petit cachet accrocheur et proprement fondant au héros de l’opéra ;
- doué pour raconter les histoires ; la tchatche donc, élément essentiel dans le kit de survie en milieu séducteur hostile et qui fera de lui ultérieurement un grand auteur puisque Monsieur écrit, et fichtrement bien en plus…
Se souvenir de Casanova
Un playboy ? Avec un petit plus tout de même : contrairement à son théâtral alter ego moliéresque, l’autoproclamé Chevalier de Seingalt annonce clairement la couleur à ses maîtresses : il n’est pas fait pour rester. Ce qui d’ailleurs ne l’empêche pas de tomber éperdument amoureux, de se faire larguer et d’aller soigner ses chagrins affectifs auprès de prostituées dont il est certain qu’elles lui transmettront la syphilis. Dans le genre remède de cheval, on peut trouver mieux pour oublier ses déboires sentimentaux, vous n’en disconviendrez pas. Et puis il y avait l’intellectuel, la connaissance, la culture et le beau verbe.
Pareil personnage a de fait sa place dans notre série Love Letters. Des lettres, il en a écrit beaucoup, ses mémoires également, une Histoire de ma vie qui rutile des milles lumières de ce siècle en pleine révolution. Il a surtout fait couler beaucoup d’encre, en témoigne une bibliographie conséquente dans laquelle on cible Casanova – Un voyage libertin de Chantal Thomas ou Casanova l’admirable de Philippe Sollers. Les deux ouvrages ont ceci de précieux qu’ils dévoilent l’attachement de deux grandes plumes, l’une du beau sexe, l’autre virile, deux points de vue non négligeables sur un parcours hors normes.
Ajoutons les deux chefs-d’œuvre cinématographiques absolus que sont Casanova de Fellini et Casanova un adolescent à Venise de Comencini. A noter également l’interprétation anthologique de Marcello Mastroianni dans La Nuit de Varennes, où l’acteur italien campe un Casanova vieillissant qui voit son monde s’effondrer. À consulter par ailleurs l’exposition en ligne Casanova – La passion de la liberté proposée par la BNF : un dossier extrêmement complet sur le bel Italien, qui casse avec l’image d’Epinal du séducteur pour dévoiler des visages plus pertinents, plus intellectuels. Et pour les rétifs à la lecture, il existe une édition complète de l’émission Secrets d’Histoire aux frasques casanoviennes avec une ouverture sur la vie vénitienne au XVIIIe siècle.
Autant dire une méthodologie en direct live sur les techniques de séduction par l’intelligence. Pour résumer, vous avez tout à apprendre de ce charmant professeur qui plaçait la parole, l’intelligence et la culture en première ligne de l’acte amoureux et qui fut suffisamment moderne et respectueux pour considérer le consentement de ses partenaires comme une victoire des sens.