La jalousie, c’est pas bien ! Humain mais pas bien ! Et dans certaines régions rurales d’Italie, c’est carrément un sport extrême. Dixit ces deux chefs d’œuvre du vérisme que sont Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni et Pagliacci de Ruggero Leoncavallo, deux opéras courts généralement joués en diptyque, comme deux versants de cette même malédiction passionnelle.
On les interprète habituellement dans des décors et des costumes traditionnels du XIXeme siècle, pour faire couleur locale, souligner l’exotisme du sujet. S’emparant du sujet pour la Monnaie de Bruxelles, Damiano Michieletto balaie le folklore et propulse les deux intrigues dans l’Italie contemporaine, un même petit village perdu de Calabre ou de Sicile, peu importe après tout, puisque la jalousie est un sentiment universel, ici exacerbé par le sens de l’honneur mafioso.
Les personnages des deux drames se mêlent, les deux intrigues se déroulent en parallèle, dans une atmosphère de fête religieuse enjouée, de camaraderie trompeuse. Blousons de cuir, robes courtes, talons, jeans, nos héros vêtus de banalité n’en sont que plus émouvants et redoutables, qu’il s’agisse de Santuzza qui dénonce son ex amant au mari de la femme qu’il fréquente, ou Canio, fou de rage quand il comprend que son épouse s’apprête à le quitter.
Bien sûr, tout cela va finir dans le sang et les larmes, mais Michieletto privilégie le règlement de compte version grand banditisme, ne raccordant avec la mise à mort au couteau initiale qu’à la faveur du spectacle final. Et sa lecture, ma foi, fait sens à l’heure où la mafia n’en finit plus de défrayer l’actualité. Ambiance, lumières, attitudes, son interprétation évoque le célèbre film Gomorra et la série TV qui le complète, donnant ainsi un sacré coup de boost à des œuvres incontournables certes, mais vieillissantes.
Le chef d’orchestre Evelino Pidò ainsi que les interprètes Eva-Maria Westbroek, Teodor Ilincai, Elena Zilio, Ainhoa Arteta, Carlo Ventre, Scott Hendricks pour ne citer qu’eux ainsi que l’ensemble du chœur de la Monnaie s’adaptent parfaitement à cette lecture moderne sans trahir le caractère passionnel des livrets d’origine, au contraire. Le drame de ces triangles amoureux entremêlés souligne la souffrance profonde de ceux qui sont trahis, mais également la détresse de ceux qui partent vers d’autres amours, la lassitude du couple, le sentiment d’abandon décuplé par celui de propriété …
Très intelligemment, avec finesse et discrétion, Michieletto met en évidence ces douleurs existentielles, accrues par le poids des traditions, des croyances. Cette atmosphère lourde, irrespirable, est pourtant éclairée par des fulgurance de bonheur, quand la mère de Turridu comprend que Santuzza est enceinte de son fils défunt, quand les villageois promènent la Vierge en procession, quand la foule se rassemble pour profiter du spectacle de Paggliacci … Le vérisme reprend alors ses droits, inspiré qu’il était par le naturalisme, ce désir de saisir la réalité dans ce qu’elle a de plus sombre ou de plus lumineux …
Et plus si affinités
https://www.lamonnaie.be/fr/program/427-cavalleria-rusticana-pagliacci
https://operavision.eu/fr/bibliotheque/spectacles/operas/cavalleria-rusticana-pagliacci#