Pandémie oblige, nous revoyons nos classiques, avec un sentiment mêlé de nostalgie et de délectation. The Cell, par exemple, qui, vingt ans après sa sortie sur les écrans, n’a rien perdu de son originalité ni de son inquiétante flamboyance, en nous racontant une histoire de tueur psychopathe d’une manière aussi inédite qu’élégante. Trop peut-être ?
Explorer l’inconscient d’un assassin
L’intrigue repose sur la psyché d’un tueur en série (Vincent D’Onofrio) qui noie des jeunes femmes après les avoir enlevées. Ce dernier tombe dans le coma au moment de son arrestation, ne pouvant donc révéler l’endroit où il a caché sa nouvelle victime. Pour parvenir à repérer « the cell », cette mystérieuse cellule où la demoiselle attend son aquatique trépas, un enquêteur du FBI (Vince Vaughn) demande à une talentueuse psychologue (Jennifer Lopez) d’explorer l’inconscient de l’assassin en pénétrant ses rêves grâce à un procédé révolutionnaire. Et c’est là tout le problème : on ne visite pas le labyrinthe mental d’un psychopathe comme on le ferait pour un enfant autiste, surtout quand on est une jeune biche idéaliste.
Des effets esthétiques impressionnants
Car la belle et candide Catherine Deane va devoir très vite s’adapter si elle veut survivre à cette plongée dans des eaux psychiques extrêmement vaseuses … mais ô combien fascinantes et baroques. C’est tout l’attrait du film de Tarsem Singh, vidéaste inspiré dont c’est le premier long-métrage et qui mise à fond sur des effets esthétiques impressionnants pour retracer ce voyage cauchemardesque. Un cauchemar émaillé d’images choquantes, inspirées par des œuvres fortes de l’art contemporain, notamment « Some Comfort Gained From the Acceptance of the Inherent Lies in Everything », la vache découpée en tranches de Damien Hirst.
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Fantasmes de destruction
Une séquence parmi tant d’autres, des clichés d’autant plus insupportables qu’ils sont superbes, saturés de détails comme un tableau de Van Eyck. Sertis d’un nuancier de couleurs impressionnant, d’effets de volumes, de lumières et d’ombres, de matières extraordinaires. Une débauche de passages spectaculaires qui ne durent que quelques secondes pour certains, mais qui bombardent le spectateur avec la virulence d’un spot de pub (Singh ne vient pas de ce secteur par hasard), comme pour l’immerger dans le mental particulièrement riche du meurtrier. Et questionner la manière dont celui-ci élabore ses fantasmes de destruction, selon quelle logique il articule ses personnalités multiples.
Survivre par la souffrance de l’Autre
C’est là aussi tout l’intérêt du film de Singh que de décomposer le caractère de ce personnage complexe, tyran absolu en son royaume, qui enferme le souvenir sublimé de ses victimes dans son harem cérébral, qui dévore les femmes comme un dieu sanglant, un monstre dévorateur auquel aucune ne résiste. Les tuer, c’est les faire siennes à jamais, des outils dociles de sa jouissance, des raisons d’exister, de leurrer la médiocrité de son existence. Car ce tueur ne survit que par la souffrance de l’Autre, la suppression organisée de la victime, étape par étape, depuis son rapt jusqu’à l’exposition de son cadavre décoloré et diaphane.
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Ultime parcelle d’humanité
Mais derrière cet étalage de douleurs infligées, de sadisme, qu’y-a-t-il exactement ? Comment devient-on un pareil monstre ? Qu’est-ce qui a dérangé cet esprit pour en arriver à une déviance à ce point prédatrice ? The Cell aborde la question en intégrant parmi les avatars oniriques du tueur l’enfant martyre qu’il a été, ultime parcelle d’humanité dans cette tourmente de violence continue. Le film évoque par ailleurs la montée au crime, en consacrant une scène au meurtre initial, un sanglant brouillon qui sert de point de départ dans la configuration progressive d’un modus operandi vécu comme un rituel, un exorcisme, une catharsis raffinée, stylisée. Une excuse cinématographique pour justifier l’esthétique clinquante du film ?
Le porno plutôt que les livres d’art
Consacrer un film à un tueur en série, c’est forcément prendre le risque d’en faire un héros. On sait le culte voué aux Freddy Krueger, Jason Voorhees, John Doe et autres Hannibal Lecter. Avec sa débauche de décors somptueux, de costumes majestueux (des créations absolument superbes signées Eiko Ishioka, par ailleurs costumière sur le film Dracula de Coppola), de références artistiques, The Cell joue la carte d’une démesure baroque qui veut traquer l’imaginaire d’un serial killer. De manière un peu trop magnifiée, et c’est le problème. Les tueurs en série ne sont pas des artistes de la mise à mort, même si certains le revendiquent. Leurs références ne sont que très rarement intellectuelles et quand ils cherchent l’inspiration, c’est bien plus souvent dans les revues porno que dans les livres d’art et les expositions.
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The Cell reste donc dans les mémoires pour cette volonté très esthétique (trop peut-être) de cerner le schéma mental d’un criminel qui se nourrit des images et des impressions qui l’entourent pour élaborer son propre univers, ériger une forteresse psychique imprenable. C’est peut-être le plus intéressant dans ce film que de donner à voir cet enfermement dans un monde impénétrable. Et de ressentir cette incroyable solitude psychologique, jusque dans le rapport sensoriel au monde, vécu comme une cacophonie continuelle. On notera la récurrence de percussions assourdissantes, de couleurs éclatantes, d’effets exacerbés qui font sursauter le spectateur, confronté aux perceptions déchaînées d’un esprit malade. Un bel exercice de style qu’on apprécie d’autant plus qu’on s’est déjà informé sur le sujet et qu’on s’y connaît un peu en matière de profilage. Bref, si vous voulez savourer The Cell à sa juste valeur, sans tomber dans ses pièges narratifs, lisez les ouvrages de John Douglas avant et regardez MindHunter pour vous préparer. Ce serait plus sage et pertinent.