Nous avons tous en mémoire les images du procès de Nuremberg, où furent jugés les nazis responsables de la Shoah. Ce qu’on connaît moins, c’est le dessous des cartes de cette traque. Une traque qui n’eut rien d’évident, qui prit des décennies, qui continue encore. Pour se souvenir et en comprendre les enjeux et le cheminement, il faut parcourir deux ouvrages clés : Les assassins sont parmi nous de Simon Wiesenthal (1967) et les Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld (2015).
Simon Wiesenthal : le chasseur de nazis
Autrichien d’origine, Simon Wiesenthal est déporté en 1941, ainsi que son épouse. Quand les Alliés libèrent le camp de Mauthausen en mai 1945, Wiesenthal est presque mourant. Il va progressivement se remettre et témoigner auprès des services de renseignement américains des atrocités qu’il a subies. Encore très affaibli, il sert d’interprète aux soldats chargés d’arrêter les Allemands incriminés.
C’est à partir de là que Wiesenthal commence sa carrière de chasseur de nazis, en rassemblant les témoignages des victimes survivantes, en remontant la trace des criminels. Il mènera cette traque d’envergure toute sa vie, dans le sillage de fugitifs comme Adolf Eichmann, Josef Mengele ou Franz Stangl. C’est ce qu’il raconte avec force détails et anecdotes dans Les assassins sont parmi nous.
Beate et Serge Klarsfeld : lutter contre l’oubli pour obtenir justice
Serge Klarsfeld n’a pas connu les camps, mais la clandestinité. Enfant durant l’Occupation, son père est arrêté en protégeant femmes et enfants ; déporté, il a été tué. Dans les années 60, Serge épouse Beate, une jeune Allemande venue travailler en France. Depuis, le couple n’a eu de cesse de dénoncer et traquer les nazis en fuite, au travers de coup d’éclat retentissants.
On se souvient notamment de la gifle assénée par Beate au chancelier Kiesinger pour dénoncer devant la presse internationale son passé fasciste et son implication dans le processus d’extermination. Objectif de cette action militante : éviter l’oubli derrière lequel les monstres nazis se réfugient si commodément, préserver le souvenir et le réactiver afin d’obtenir justice, collecter archives et documents pour constituer une mémoire à transmettre aux générations futures.
Fuir ou se fondre dans la masse
L’odyssée activiste des Klarsfeld recoupe celle de Wiesenthal, plusieurs fois au cours des années d’après-guerre, ils se rencontrent, se consultent, échangent des informations, pistent les mêmes criminels. Avec plus ou moins de succès, car, les deux récits en témoignent, les nazis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale bénéficient de réseaux de protection puissants, mis en place dans les derniers temps du conflit pour exfiltrer les dignitaires et hauts responsables, en grande partie vers l’Amérique du Sud.
Certains n’ont même pas besoin de fuir, ils se fondent dans la masse, aidés par le chaos qui suit la victoire alliée. Et c’est en toute quiétude et sans le moindre remord qu’ils reviennent à leur petite vie d’avant, reintégrant le giron familial, reprenant leur travail, parfois des responsabilités au sein de leur communauté, endossant même des fonctions politiques au sein d’une droite qui prend des teintes extrêmes. À leur passif : des meurtres de masse commis de leurs mains ou ordonnés sciemment, quand ils n’ont pas participé à l’élaboration du processus d’extermination des Juifs, des indésirables et des opposants.
Enquêteurs, juristes et diplomates
En d’autres termes, et les deux ouvrages le mettent en évidence de manière confondante, le nazisme perdure après 1945 et en dépit de la dénazification, quitte à prendre un autre nom, d’autres formes. Mais il perdure, entretenu par ceux qui ont survécu et qui, fidèles à Hitler, continuent d’en diffuser les idéaux nauséabonds, dans une indifférence quasi-générale : après 1945, la population veut oublier. Quant aux survivants des camps, ils sont tellement affaiblis et traumatisés qu’ils peinent à témoigner d’un indicible que les bourreaux ont soigneusement effacé les traces, misant par ailleurs sur le caractère incroyable des atrocités commises pour alimenter l’incrédulité des masses.
La traque débute donc par la recherche de survivants qui seraient prêts à raconter ce qu’ils ont vécu. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi rassembler des preuves irréfutables : des ordres signés, des circulaires, des notes de services, des lettres… bref des documents bien souvent perdus au milieu de monceaux d’archives, dans des administrations de pays étrangers, parfois hostiles à la démarche, dans une Europe déchirée par la Guerre Froide et le Rideau de fer. Véritables enquêteurs de l’impossible, nos chasseurs de nazis doivent également se montrer fins diplomates, connaître les rouages du système juridique et du droit international, savoir constituer des dossiers inattaquables en vue de déposer des plaintes qui soient recevables et qui conduisent à des enquêtes officielles puis à des procès.
Ne jamais lâcher
Ils doivent aussi maîtriser l’art de la communication, qu’ils vont apprendre sur le tas. Pour obtenir justice, il faut rendre le sujet audible, si besoin, et c’est souvent le cas, de manière fracassante. Beate Klarsfeld est à ce titre une spécialiste de l’agit prop, usant de méthodes quasi révolutionnaires pour dénoncer le nazi de manière flagrante et tonitruante, devant les journalistes et les caméras du monde entier, quitte à mettre sa propre vie en danger. Souvent menacés de mort, victimes même d’attentats fort heureusement ratés, les Klarsfeld comme Wiesenthal auront maintes fois besoin du secours de la presse pour révéler le passé hitlérien ou collaborateur d’hommes politiques en vue, d’anciens tortionnaires.
Redoutables d’efficacité, tenaces et obstinés, ils ne lâchent jamais. Pour preuve le dossier Klaus Barbie ou l’affaire Touvier. Leur patience, leur constance, leur persévérance s’ancrent dans la conviction que le nazisme est un des visages du Mal absolu, et qu’il trouve au fil des siècles de nouveaux visages pour poursuivre son oeuvre destructrice. Il convient d’y faire face à tout moment, de se positionner à la fois en vigie et en pisteur, d’être toujours prêt à agir pour faire front et barrage, avec autant de dignité que de conviction, d’assurance… et d’indignation. C’est indispensable car, comme l’a si bien signifié Stéphane Hessel, « quand quelque chose vous indigne, comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé. On rejoint le courant de l’histoire et le grand courant de l’histoire doit se poursuivre grâce à chacun.”
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