Avec les 30 ans des Journées européennes du Patrimoine, une page se tourne qui en appelle une autre. Sensibiliser le public aux beautés de l’architecture existante est maintenant chose faite, il convient désormais d’y réinjecter une vie, un mouvement, une respiration. Ouvrons les yeux, le manifeste signé par Jack Lang à l’occasion de cette date anniversaire marquante exprime ce nouvel enjeu qui prend déjà ancrage dans de nombreuses réalités. Parmi elles, Chaumont sur Loire.
A bien des égards, ce domaine chargé d’un glorieux passé, incarne une réussite patrimoniale qui dépasse le cadre purement muséal et historique pour s’ouvrir vers un avenir qu’il contribue à construire. Un château, un parc, des jardins, un potager, un belvédère donnant sur un paysage classé patrimoine mondial de l’UNESCO : en accueillant le Festival International des Jardins, le lieu avait assis sa réputation. Centre d’arts et de nature, il explore par ailleurs les formes d’art contemporain prenant comme thème la Nature. Bref une saga culturelle comme on aime les évoquer sur The ARTchemists et qui valait bien qu’on y consacre un reportage.
Chaumont sur Loire : le château des dames
Pour qu’il y ait parc et jardins, il faut une demeure. Demeure prestigieuse que ce château élevant ses murailles au dessus de la Loire, construit par les comtes de Blois vers l’an 1000 pour passer ensuite aux mains de la famille d’Amboise avant d’appartenir à Catherine de Médicis puis à Diane de Poitiers. Ambitieuses et femmes de goût, toutes deux sauront embellir ce château magnifique, en faire un centre culturel, un incontournable qui complète l’axe de pouvoir dessiné entre Amboise et Blois. Par la suite, le domaine accueillera Mme de Staël, condamnée à l’exil par Napoléon. Puis il deviendra la propriété de la princesse de Broglie qui se consacrera corps et âme à son développement.
C’est cette histoire riche et exemplaire qui ressort du parcours de visite juxtaposant la vie du château au XVIème siècle et celle de la demeure au XIXème. Car la princesse de Broglie fit beaucoup pour moderniser la bâtisse, y installant par exemple l’eau courante, l’électricité et le chauffage, progrès non négligeable quand il s’agit de protéger les collections, composées de tableaux, de tapisseries et de meubles d’époque. C’est justement cette superposition des courants qui fait toute la saveur de la découverte, ainsi ce moment incroyable où la frise qui orne l’escalier, tout d’abord gothique, se transforme brusquement : le propriétaire d’alors, tout juste revenu d’Italie, avait exigé cette mutation, marquant ainsi dans la pierre l’arrivée de la Renaissance en France.
Chaumont sur Loire : des jardins à foison
Ah ces jardins … à perte de vue les parcs cernent le château et ses dépendances, une verdure foisonnante, où les arbres entourent les étendues herbeuses. Ne disait-on pas jadis que la région était le jardin de la France ? Impossible de douter quand on contemple ce panorama. Ici le jardin est roi : des parterres à l’anglaise changés au fil des saisons, dont les couleurs s’harmonisent avec la végétation ambiante, des allées accueillantes qui vous conduisent sous les frondaisons humides du vallon des brumes, le potager où voisinent des espèces anciennes, pour certaines disparues, ainsi que des animaux, oiseaux et insectes puisqu’un jardin est un lieu de vie, un écosystème …
Et de loin en loin des oeuvres d’art, qui prennent ancrage en majesté au milieu des feuillages : L’arbre aux échelles de François Méchain, Sculpture de brume de Fujiko Nakaya, Lucioles d’Eric Samakh, … ce sont plus d’une vingtaine de créations monumentales qui se répartissent sur les 21 hectares du parc d’agrément enrichis depuis 2012 des prés du Goualoup dessinés par Louis Benech, rappelant ainsi que les jardins ont vocation à mettre en valeur par l’espace qu’ils offrent des œuvres importantes par leur taille, leur portée et leur signification.
Chaumont sur Loire : quand les paysagistes de demain analysent le monde d’aujourd’hui
C’est ici qu’intervient le Festival des jardins, qui depuis 22 saisons, repère et met en exergue le travail des artistes paysagistes émergents, dessinant ainsi les tendances à venir en matière d’esthétique. Depuis 1992, le festival a ainsi favorisé la création de 600 projets : idées originales, utilisation de nouveaux matériaux, introduction de nouvelles espèces végétales, … le concept initial était de créer une dynamique, aujourd’hui le Festival est devenu une compétence reconnue à l’internationale, dont chaque édition fascine public et médias. C’est qu’il ne s’agit pas seulement de constituer des jardins, mais de le faire en fonction d’un thème, toujours délicat et ambitieux.
Pour cette 23ème édition dont le jury était présidé par le chef d’orchestre William Christie, le sujet était Les Jardins des péchés capitaux. 26 projets ont été retenus, réalisés par des artistes venus du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Japon, de Corée, d’Italie, des Pays-Bas ou de France. Ces 26 pièces de verdure stigmatisent principalement l’avidité, l’orgueil, l’aridité affective, tout en érigeant le gaspillage et le narcissisme numérique en péchés modernes. Drôles, grandiloquents, colorés ou ascétiques ces créations deviennent le miroir de notre société.
Chaumont sur Loire : la Nature de l’Art, l’Art de la Nature
Et c’est justement la vocation de l’Art, autre facette du domaine institué Centre d’arts et de nature. Commet l’art s’inspire-t-il de la nature ? Qu’en montre-t-il ? Quelle réflexion porte-il sur la nature telle qu’elle transparaît dans notre monde moderne ? Ces problématiques irriguent les œuvres présentées ici, notamment dans les dépendances, ou les deux derniers étages du château transformés en galerie d’art. Sculpture, peinture, photo, art numérique, peu importe le medium, les artistes convoqués devront y répondre.
De cette année 2014 on gardera en mémoire les impressionnantes et très poétiques fleurs numériques de Miguel Chevalier, spectres colorés qui se balancent au gré de nos mouvements de visiteurs, les superbes portraits floraux de la série Botanica / Lumière Diffractée de Ralph Samuel Grossmann, les Fleurs fantômes de Gabriel Orozco, très intelligemment placées sur les murs dévastés des appartements et qui se confondent avec le papier peint abîmé des pièces. Toutes ces œuvres interrogent ce que le monde moderne a fait de la nature, de façon symbolique mais forte, en proposant une autre vision sur les mystères du végétal.
Chaumont sur Loire : un domaine … et demain ?
Centre d’Arts et de Nature, Festival des Jardins, domaine patrimonial, Chaumont sur Loire constitue une mine de possibilités en matière de tourisme culturel. De fait, acquis en 2007 par la Région Centre lors du transfert du patrimoine de l’Etat aux collectivités territoriales, il se développe depuis de façon considérable, tant par le rayonnement et la fréquentation, que par la portée de ses actions et de ses initiatives. Un lieu à part qui se distingue par sa triple identité, démultipliée par l’équipe très investie du domaine, sous la direction de Chantal Colleu-Dumond.
Illuminations nocturnes, outils interactifs, site bien documenté, tout est fait pour appuyer et amplifier les actions menées dans ce cadre idyllique avec d’une part un objectif de recherche et d’échange, d’autre part le désir de faire vivre cet univers à l’année, sans être seulement tributaire de la saison estivale. C’est ainsi que depuis cinq ans les “Splendeurs d’automne” accueillent les visiteurs durant les vacances de la Toussaint avec au programme promenades dans les allées décorées pour l’occasion, découvertes de végétaux rares, échanges de graines avec les jardiniers du domaine, et dégustation de menus cuisinés avec les produits issus du potager.
Lieu d’exception, expérience muséale hors normes, centre de création et de réflexion, repérage et mise en valeur de talents artistiques, à tous points de vue le domaine de Chaumont propose une politique culturelle à succès, qui plaît. “Centre d’Arts et de Nature”, “Jardins Remarquables”, “Arbres Remarquables”, “Qualité Tourisme” et “3 étoiles” au Michelin en tant qu’événement culturel, les reconnaissances pleuvent, légitimées par l’augmentation de la fréquentation, passée de 200 000 à 400 000 visiteurs en cinq ans.
Cette réussite, fruit d’un travail de groupe et d’une réelle volonté des pouvoirs publics de mettre cet univers en valeur, est méritée, car elle présente un mode de fonctionnement d’avant-garde, qui mêle les univers, fait sauter les frontières entre les modes d’expression. Plus de cloison, plus de limites : viennent ici les amoureux de la Nature, les fous d’Histoire, les amateurs de jardins, les curieux d’art et de jeunes talents … ou les promeneurs désireux de se perdre dans un lieu à part, surprenant et fascinant. Il convient non seulement de saluer ce travail, mais aussi de s’en inspirer.
Merci à Dominique Jauzenque et à toute l’équipe du domaine de Chaumont sur Loire pour leur accueil.
Merci à Benjamin Getenet pour son regard, son avis et ses conseils avisés.
Et plus si affinités
Album photos de notre visite du domaine de Chaumont sur Loire