Alors voilà : Charles Manson vient de mourir. Et les média de tous poils de ressasser la biographie de ce gourou psychopathe doublé d’un mauvais musicos, qui, rappelons-le, a terminé sa médiocre vie à l’ombre, pour avoir ordonner à ses ouailles d’aller assassiner Sharon Tate enceinte jusqu’aux yeux, ses amis, puis le couple La Bianca. Il y a des témoignages dont on se passerait bien, surtout quand ils font de l’ombre à un hommage mérité. C’est dans l’indifférence générale ou presque que Robert Hirsch a rejoint l’au-delà, nous laissant orphelins.
Alors pour les incultes, Robert Hirsch a probablement été le plus grand acteur de sa génération, des gars de cette amplitude on en compte cinq par siècle, allez, dix pour faire large. Néron, Bousin, Tartuffe, Scapin, Sosie, … je ne vais pas énoncé tous les rôles dans lesquels il a brillé, on y passerait la journée, sachant qu’il a éclusé l’ensemble des répertoires, excellant en tout. Diction, gestuelle, attitude, ressenti, vibration, … il était l’acteur absolu. Sérieux, tranchant, exigeant, drôle aussi … Bref c’est la larme à l’oeil que je retourne mes DVD, histoire de revoir le Monsieur sur les planches … jusqu’à ce que je tombe sur Chobizenesse. Et que je pleure encore plus.
Car Hirsch y est dirigé par un autre grand monsieur, j’ai nommé Jean Yanne. Le film, sorti en 1975, a fait un bide. A peine étonnant, tant il est brutal, cynique et visionnaire. Tout débute comme une farce, un directeur de music hall, Clément Mastard, aux abois : ses spectacles ne font plus recette, il est au bord de la faillite, sa star et maîtresse l’a lâché pour aller faire du théâtre d’avant garde, bref c’est la cata, qui l’amène à s’acoquiner avec des financiers véreux pour relancer son activité, quitte à donner dans le graveleux, voire le porno.
Cet homme de spectacle sans scrupule croise un jour et par hasard la route de Jean-Sébastien Bloch, compositeur génial mais incompris, d’une rigueur extrême, presque fanatique dans son approche de la composition. Son antithèse absolue. Lequel des deux va transformer l’autre ? Si au début Mastard envisage de détourner à son profit la musique de ce compositeur ultra sensible et un brin dictatorial, il va très vite déchanter … et bien malgré lui, embrasser la cause artistique dans son émanation la plus élevée. jusqu’au sacrifice, odieux et absurde, lors d’un final grandguignolesque dont seul Yanne a le secret.
Outre l’interprétation flamboyante de Hirsch qui donne à son personnage la dimension d’un créateur fou, égoïste et illuminé, on retiendra le propos du film qui passe à la mitrailleuse le milieu de la culture et des arts, ses compromissions, ses hypocrisies, ses bassesses, ses manipulations en tous genres, et son éternelle dépendance à l’argent, qui délivré par l’État ou des mécènes privés, a toujours une bien méchante odeur. N’allez pas croire cependant que le film se veut moralisateur et rigoriste. Les scènes à hurler de rire ne manquent pas, notamment les ballets à la gloire de l’acier, ou cette séquence hilarante durant laquelle les danseurs répètent habillés … en verges.
D’autres passages sont beaucoup plus durs, d’un mordante absolu, tout à fait adapté, véridique … Pour Jean Yanne, il est clair que la place de l’artiste demeure un problème quasi insoluble dans une société de consommation vouée au culte de l’argent et du spectaculaire facile. Impossible de se positionner, quoi qu’on fasse, on est tenu par le fric et ceux qui le contrôlent. Le génie n’a pas de place là dedans, hormis contingenté dans l’invisibilité … ou au cimetière. Vieux de 40 ans, l’ensemble du film reflète notre monde actuel, où l’on fait sa une de la mort d’un monstre, passant sous silence ou presque la disparition d’un grand acteur. Tout est dit.