CHoPin de Christine Hassid : l’ardente et mélancolique variation chorégraphique

The Artchemists Christine Hassid

Christine Hassid revisite avec intensité et sensibilité une pièce chorégraphique inspirée de l’œuvre de Frédéric Chopin, dont la résonance trouve un écho profond dans son histoire familiale. En associant la puissance du piano à la liberté des corps en mouvement, la chorégraphe bordelaise signe avec CHoPin – actuellement en tournée – une œuvre émouvante et lumineuse. Rencontre avec une artiste aussi déterminée que passionnée.

Quelle a été votre source d’inspiration pour créer le projet initialChopin. Carte blanche?

Chopin est un compositeur romantique dont les œuvres pour piano sont célèbres pour leur expressivité et leur complexité émotionnelle. La musique de Chopin, avec ses nuances et sa richesse harmonique, se prête bien à la danse contemporaine, offrant une toile de fond émotionnelle intense pour l’exploration du mouvement. Le rapport à la musique est essentiel dans mon travail. Ce sont des itinéraires de corps humains qui dictent la musique, qui la jouent, et non la musique qui est à l’origine de leur apparition. Je suis musicienne, j’ai fait 15 ans de piano et je jouais lesNocturnes de Chopin à 10 ans. Je connais la complexité de cette musique et sa structure. Tout mon travail réside à construire un dialogue entre la musique de Chopin et la musicalité des corps.

Chopin. Carte blanchefut recréé pour devenirCHoPin.Qu’est-ce qui vous a poussé à ramener ce projet en Europe, et pourquoi souhaitez-vous le retravailler maintenant ?

Chopin. Carte blanche m’a permis d’avoir une double nomination. Deux nominations aux Golden Mask Awards ; fait exceptionnel puisque je suis la première chorégraphe française à avoir été nommée à ce prestigieux festival depuis sa création. La première nomination étant dans la catégorie « meilleur spectacle de danse contemporaine de la saison » et la seconde, dans la catégorie « Meilleure chorégraphe de la saison ». Je me suis ainsi retrouvée sur la liste des nominations aux côtés d’Angelin Preljocaj et de William Forsythe.

La terrible actualité de la guerre en Ukraine fait que ce projet ne joue plus pour des raisons politiques. Avec la compagnie CHP en France, nous avons dû travailler hors des murs des théâtres pour contrer la crise Covid. Cela faisait quatre ans que la compagnie n’avait pas pu jouer dans les murs des théâtres. J’ai donc échangé avec nos partenaires sur la volonté ardente de réamorcer cette création, de développer la dramaturgie, de peaufiner l’écriture et d’avoir une réelle création lumière. Pour toutes ces raisons, CHoPin a été créé en 2024.

Quelles émotions ou thèmes cherchez-vous à transmettre à travers l’œuvre de Chopin, sa nostalgie notamment ?

J’ai utilisé Chopin pour créer une pièce qui résonne à un niveau émotionnel profond, en utilisant la musique comme point de départ pour des explorations chorégraphiques qui vont au-delà du simple accompagnement musical. Je m’inspire par exemple de la mélancolie ou de la passion présentes dans les œuvres de Chopin pour créer une pièce qui interroge les relations humaines, les états d’âme, les luttes intérieures.

Ainsi, mon travail avec la musique de Chopin montre comment la danse contemporaine peut dialoguer avec des œuvres classiques en réinterprétant leur signification ou en offrant aux spectateurs une nouvelle manière de ressentir et de comprendre à la fois la musique et la danse.

En tant que petite-fille d’un rescapé de la Shoah, comment votre histoire familiale a-t-elle façonné votre travail artistique et vos engagements ? Comment l’exil de votre famille a-t-il influencé la création deCHoPin?

Les histoires de souffrance, de perte et de courage ont été transmises de génération en génération, et je ressens profondément la responsabilité de rappeler leur mémoire. Les génocides et les atrocités sont souvent minimisés ou ignorés, laissant les victimes et leurs descendants sans voix. C’est pourquoi il est si important de rappeler l’Histoire. Après quatre générations, il était temps de faire le voyage à l’envers… avec une troublante résonance à notre époque.

Comme le disait Jean d’Ormesson :« Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents, dans la mémoire des vivants ». L’histoire de ma famille est dans mon ADN. Dans toutes mes créations, il y a son empreinte. Mon écriture chorégraphique est physique, énergique, sensible, fluide, dense et demande beaucoup de précision. Je suis une personne qui a une certaine étanchéité à la survie. Cette force, j’en ai besoin au quotidien, car être une femme dans ce milieu de la danse demande des sacrifices et une détermination sans faille.

Comment la situation actuelle en Ukraine et en Russie a-t-elle affecté la diffusion de votre œuvre et votre vision du projet ?

Chopin, carte blanche s’est arrêté de jouer dès le début de la guerre. Les images en Ukraine ont d’autant plus appuyé le besoin de lutter contre l’antisémitisme, le racisme, la haine, la dictature, la propagande. En tant qu’artiste, il me semble qu’il est de mon devoir de témoigner à ma façon, de lutter à mon niveau contre la montée actuelle des extrêmes et des discours de haine. La musique, la poésie et l’ironie ont toujours été mes remèdes pour donner du corps à l’immatériel et pour essayer de fédérer.

Vous avez mentionné l’importance de la musique dans votre travail. Comment voyez-vous le rapport entre la musique de Chopin et la chorégraphie ?

Associant dans mon corps la danse classique et contemporaine, je conserve cette union dans mes œuvres. Montrer au spectateur, non l’opposition du classique et du contemporain, mais le dialogue étonnant qui se noue entre eux. Il existerait une tension permanente entre le classique et le contemporain, tension par moments dépassée dans le ballet néoclassique.
Pour moi, cette contradiction est tout sauf insoluble. Je l’abolis dans mes spectacles. Je réduis la distance entre ces deux mondes.

La musique de Chopin peut avoir une incarnation physique dans le corps des danseurs, non seulement elle sonne, mais devient aussi visible. On peut l’appeler un opéra du corps, où la voix est remplacée par une danse. Ce sentiment de la « chair » de la musique surgit inconsciemment et se manifeste même chez un spectateur inexpérimenté, car celui-ci n’a besoin de connaitre ni la théorie de la musique ni l’histoire du compositeur. Non seulement pour l’entendre, mais aussi pour le ressentir à l’intérieur de vous-même.

Vous parlez de la musique qui amène au « repos des choses ». Pouvez-vous expliquer ce concept dans le cadre de votre travail chorégraphique ?

Tchaïkovski, Bach, Chopin… Qu’est-ce qui les unit ? Probablement, une série de pertes vécues, qui ont donné lieu à une perception aiguë de chaque instant, à un sentiment de la fugacité de la vie, au désir de la remplir au maximum à chaque instant – si vous ne pouvez pas le faire dans votre vie, alors du moins en musique.

C’est dans cette philosophie de vie que j’avance, que je me réalise, que je donne un sens à ma vie. La danse et la musique sont mes remèdes à la vie. Et je pense sincèrement, avec mon expérience, que la musique classique et la musique baroque fédèrent et parlent à tous.

Vous l’avez dit, Chopin. Carte blanche a remporté notamment vos deux nominations aux Golden Mask Awards suivies d’une vaste tournée en Russie et en Ukraine ? Comment avez-vous vécu ce succès ?

Je n’ai pas vécu les tournées, car, après la première, je suis rentrée en France avec mon assistant. Les Golden Mask Awards ont été pour moi une renaissance. J’étais dans une période où je songeais à fermer la compagnie (c’était au moment de la COVID)… Le Ministère des Affaires étrangères français m’a contactée pour m’annoncer la très bonne nouvelle et pour organiser ma venue à la cérémonie. Je devais partir en « mission » pour représenter la France à Moscou.

Malheureusement, la COVID a fait que je n’ai pas pu me rendre à la cérémonie (comme tous mes collègues) car nous n’avions pas encore le droit de quitter nos pays respectifs vu l’évolution de la crise sanitaire. Ce qui a été compliqué, c’est de me rendre compte, lors de mes nombreux rendez-vous en France, que mes interlocuteurs (pour la plupart) ne connaissaient pas les Golden Mask Awards …

Quelles sont vos attentes en réamorçant, en France, ce projet aujourd’hui, en particulier dans le contexte actuel de tensions géopolitiques ?

Je dirai qu’ensemble, nous pouvons bâtir un avenir où la paix et la justice prévalent ; où les rêves des générations passées sont enfin réalisés. N’oublions jamais les vies perdues, les rêves brisés. C’est notre devoir de rappeler leur mémoire, de lutter contre l’oubli et de travailler inlassablement pour un monde où chaque être humain est respecté et protégé. Et j’ai toujours pensé à toutes les minorités opprimées en écrivant CHoPin. Ensemble, nous pouvons faire la différence.

Pour en savoir plus sur le projet et la tournée, consultez le site Christine Hassid Project.

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Dieter Loquen

Posted by Dieter Loquen

Natif de Zurich, Dieter Loquen a pris racine à Paris il y a maintenant 20 ans. On le rencontre à proximité des théâtres et des musées. De la capitale, mais pas seulement. Il aime particulièrement l'émergence artistique. Et n'a rien contre les projets à haut potentiel queerness.