La réplique fait mouche et mal. Elle résume parfaitement l’ampleur d’une tâche titanesque devenue quasi impossible à mener dans un monde moderne en proie au chaos. Cette révélation porte le potentiel d’un thriller politique prenant ; mais le film Conclave ajoute à l’intrigue une pointe de crise mystico-éthique d’une actualité saisissante. Et c’est ce qui fait justement tout son intérêt.
Des millions de consciences catholiques
Le titre synthétise l’histoire : un pape qui décède brutalement, un conclave qui se rassemble pour élire son successeur, à huis clos comme il se doit. Et là, les ambitions se déchaînent, ça complote à qui mieux mieux pour s’emparer du trône pontifical qui n’a rien perdu de son aura, bien au contraire. À la clé, prendre en charge des millions de consciences catholiques, et tracer la voie pour ce troupeau.
Voie qui peut s’orienter vers la régression la plus totale, un quasi-retour à la chrétienté en mode Moyen Âge avec tout ce que cela comporte de violence, de rejet, d’intolérance, de bêtise. Ou bien chemin certes hasardeux, mais conscient vers la modernité, avec à la clé l’amour de son prochain et l’entente cordiale entre les êtres, peu importe leur couleur de peau, leur orientation sexuelle.
Les ambitions des uns, le fanatisme des autres
L’enjeu est crucial et le cardinal Lawrence (Ralph Fiennes), en charge de superviser ce conclave, l’a très bien compris. Il va falloir naviguer entre les ambitions des uns, la folie des autres. Lequel dans ce groupe d’ecclésiastiques aux dents longues, est vraiment digne de succéder à un pontife qui avait défriché le chemin vers demain, imposant des modernisations que d’aucuns avaient eu du mal à digérer ? Préserver un héritage, le faire fructifier.
En pleine tourmente religieuse, doutant de son engagement et de sa foi, Lawrence va louvoyer pour dévoiler au grand jour les dérives des uns, les mensonges des autres. Dans son ombre, un cardinal étrange, protégé du pape défunt, un inconnu venu de nulle part, sorte d’ange mystérieux et discret, placé là comme une protection, un avertissement ? Une sœur énergique, bien décidée à défendre la justice et faire triompher le bien. Un archevêque qui tisse un lien ténu, mais essentiel avec l’extérieur, rassemblant informations et preuves pour un Lawrence qui s’improvise enquêteur.
Le poids des siècles
C’est qu’une fois les portes du conclave verrouillées, la tempête commence… et ne prendra fin que sur un coup de théâtre magistral. Voici à quoi nous convie cette remarquable adaptation du roman de Robert Harris, dopée par la mise en scène d’Edward Berger à qui l’on doit entre autres À l’Ouest rien de nouveau. Dans l’atmosphère feutrée des couloirs du Vatican, sous le marbre séculaire, au fil des colonnes et des tableaux gigantesques, le poids des siècles est présent. La tradition aussi, inscrite dans les rituels, les cérémonies, les gestes, les vêtements.
Jouant sur les différents types de plan, Berger saisit les expressions, les regards, les attitudes, resituant ce jeu de dupes dans un ensemble plus vaste, la fourmilière du Vatican où tous se confondent au service de Dieu. Mais servir Dieu n’est-ce pas au final servir l’humanité ?
Courants contradictoires
L’atmosphère tendue du conclave n’est pas une nouveauté ; il suffit de visionner Les Rois Maudits pour s’en convaincre. Le film de Berger met à jour les problématiques de la chrétienté made in XXIeme siècle, problématiques qu’on trouve également inscrites dans Ainsi soient-ils; le Vatican apparaît traversé de courants contradictoires, tirant vers le passé, allant vers le futur, cherchant l’équilibre entre tradition et modernisme, essayant de conjuguer au présent des valeurs qui devraient être universelles, mais dont beaucoup trahissent l’essence.
Magnifiquement servi par un casting d’exception où brillent, outre Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Sergio Castellitto et Isabella Rossellini, Conclave a su se distinguer, engrangeant entrées en salle et nominations. Outre une immersion intense dans les coulisses du Vatican, le film vaut pour sa réflexion sur le pouvoir, la foi et le devenir d’une des institutions les plus énigmatiques au monde.
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