Dans le cadre de l’exposition Olafur Eliasson : Contact, proposée par la fondation Louis Vuitton au coeur de l’imposant building postcubiste construit par Frank Gehry au bois de Boulogne, nous avons assisté à la projection en avant-première d’un clip de Claire Denis rendant hommage à l’artiste danois exilé à Berlin ainsi qu’au concert de Kasper Toeplitz interprétant à la contrebasse électrique une composition d’Eliane Radigue, Elemental II.
Le film de Claire Denis, simplement intitulé Contact by Olafur Eliasson, illustré par une belle musique planante de Stuart Staples, relève de l’esthétique contemplative des années 70, n’énonçant rien d’autre qu’elle-même. Il fait partie d’une veine expérimentale, du tout narrative ou représentative, uniquement soucieuse de la qualité esthétique de l’image, en l’occurrence de magnifiques bandes colorées produites par Olafur Eliasson, cadrées horizontalement en 16/9es haute définition par Agnès Godard et Yorick Le Saux, rythmiquement agencées au montage.
Claire Denis, Contact by Olafur Eliasson. from Studio Olafur Eliasson on Vimeo.
Quoique datant de 2004, Elemental II, écrit spécialement par Eliane Radigue pour Kasper Toeplitz, s’inscrit également dans ce courant contemplatif, voire mystique, où le public est appelé à se concentrer sur la moindre nuance phonique émise, faisant ainsi écho à Elemental tout court, une pièce de cette auteure datant de… 1968, qui cherchait à évoquer les cinq composantes de notre univers (et non 4, comme on le croit généralement) : la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace. Entre les deux œuvres, la compositrice a eu l’occasion de se convertir au bouddhisme tibétain. Après Elemental II, elle qui avait pratiqué trente ans durant le synthétiseur (le modèle ARP 2500 d’Alan R. Pearlman, le concurrent de Robert Moog !), et qui a vécu et probablement vit toujours au milieu de contrebasses acoustiques disloquées par Arman, décida de se consacrer exclusivement au travail instrumental.
Malgré l’absence de sièges rappelant la bonne franquette des premiers spectacles programmés par la fondation Cartier dans le cube minimaliste dessiné par Jean Nouvel boulevard Raspail, l’auditorium de la fondation Vuitton est impressionnant par ses dimensions (le vrai luxe est l’espace), son éclatante luminosité, les matériaux qui le composent et qui absorbent ou réfléchissent idéalement le son. Contre mauvaise fortune, bon cœur : les coussinets arrondis appelés galettes par les hôtesses nous les tendant feront office d’oreillers pour certains des auditeurs les plus à l’aise dans leurs baskets, qui préféreront la station allongée à celles assise ou debout. Les bobos virant babas (la fumette en moins, néanmoins, loi anti-herbe à Nicot oblige), le temps du concert, soit une cinquantaine de minutes.
La pièce est limpide, simple comme bonjour, subtile, plaisante à écouter et à suivre dans ses méandres. Au moyen, du moins au tout début, de légères frappes et tapotements, Kasper Toeplitz fait vibrer son neuf cordes électrique relié à un boîtier d’effets, à deux pédales wah-wah et à un ordi portable. Ce doux bourdonnement prendra progressivement de l’ampleur, parfaitement diffusé par la sono de la salle de concert. S’ensuivent des caresses de doigts, à la fois sur la caisse de l’instrument futuriste, prototypique, réduite au strict minimum et sur diverses parties du manche. Le son est ainsi d’abord geste. Puis, cette première vibration elle-même en appelle d’autres, très logiquement, sans doute. La pièce permet d’explorer la face cachée de l’instrument, le dos du manche par exemple, d’en exploiter toutes les ressources inédites.
L’intensité du jeu est palpable, la moindre quinte de toux ou sonnerie inopinée de portable risquant de gâcher sinon la fête du moins l’effet. Le compositeur, cette fois-ci dans le rôle, pas si évident que cela, de pur instrumentiste au service de l’autre, s’approprie l’œuvre qui lui fut dédiée avec un soin extrême et une attention de chaque instant. La matière sonore se déverse par vagues, par strates, par couches, du plus fin au plus épais, de l’infrabasse à l’aigu, de la sinusoïde au craquement, du ruissellement au bruit blanc. L’auditoire a fait un triomphe au musicien, lequel est allé chercher la compositrice pour lui faire partager l’enthousiasme de la salle.
Merci à Nicole Gabriel qui a contribué à la rédaction de cet article.
Et plus si affinités
http://www.fondationlouisvuitton.fr/concert-et-projection-olafur-contact.html
http://www.fondationlouisvuitton.fr/exposition-olafur-eliasson-contact.html