Pour débuter le mois le plus court comme il faut, en cette veille de Chandeleur, nous avons accepté l’invitation de l’amie Patricia à la sauterie offerte par les Dakh Daughters au Trianon, pas celui de Versailles mais celui de Paname, le Trianon-Concert, si vous préférez : vous prenez le train 2 du métropolitain et, s’il fonctionne sans « accident » ou « incident voyageur », c’est assez vite fait ; depuis Belleville, ne pas oublier de descendre à Anvers.
La façade et le hall d’entrée repeints à neuf, le music-hall, qui a plus que le double de l’âge de nos arthritiques artères, reste rococo et chaleureux, aux justes proportions, c.à.d. à échelle humaine. Du coup, la foule de trentenaires – un peu moins pour les uns, bien plus pour les autres, revenus de tout, dont nous sommes – a l’à priori souriant, ne parlons pas de banane, ce n’est pas encore la saison. Comédiennes, musiciennes, chanteuses ukrainiennes, les Dakh Daughters ont le look mitigé : mi-novices, mi-affranchies ; mi-putes, mi-soumises ; mi-steampunk, mi-babouchkas.
Leur muzik, itou. De la variété de derrière les fagots, métissée musette (deux accordéons dont un factice, autrement dit pour la frime), mâtinée folk-rock, plus acoustique qu’électro (un violon pour la photo, trois violons mastoc, violoncelle et contrebasses confondus), un métallophone pour bambin ou bimbo d’une quinzaine de lames à tout casser en forme de flûte de Pan, un flûtiau, précisément, traversier, comme le chemin buissonnier de ces écolières attardées – une fois la robe verte tradi ôtée, ces fillettes au teint fardé à la butô se retrouvent en nuisette.
Malgré tout – la lignée « girls bands » qui va des International Sweethearts of Rhythm à À cause des garçons, en passant par les Supremes, Zouk Machine, les Spice Girls, Momoiro Clover Z, etc. –, malgré l’ambiguïté de propos finalement tout ce qu’il y a de plus corrects sur le plan politique et religieux (pop et pope faisant ici bon ménage), l’aspect un peu désuet (= carnavalesque) du show sur une scène qui, si l’on en croit Mme Wikipedia, en a vu d’autres, question délurage, crudité et même excentricité – de la Goulue à Mistinguett, d’Yvette Guilbert à Fréhel, de Valentin le désossé à… Pierre Dac –, le spectacle est plaisant, rythmé et relativement nouveau.
Le naturalisme poétique y perce ; les images projetées alternent les motifs, les couleurs, les ornements des arts appliqués du bon vieux temps et des images en noir et blanc d’un monde industriel en pleine décomposition ; les jeunes femmes, qui donnent le sentiment de rejeter le passé soviétique et le présent russo-impérialiste, cherchent l’alternative en jouant la carte collective. Chacune a sa singularité, son charme indubitable, son énergie propre. Aucune ne se prend pour une vedette ou une meneuse de revue. Le groupe fonctionne parfaitement ainsi.
La mise en scène de Vlad Troitsky et les effets de light show vidéographique sont efficaces. Les textes lyriques, teintés de réalisme post-socialiste, s’accompagnent de velléités rap, folklo (d’où, peut-être, la guitare « country »), romantiques (cf. la citation de Chopin et la gestuelle de ballerines ou de patineuses artistiques, après l’entracte, les artistes ayant revêtu le tutu de cygne noir), de marches déterminées au rythme forcé de la grosse caisse. Au final, un reggae des familles réchauffe une salle invitée par les filles à se rapprocher d’elles, qui s’autorise à danser allègrement, près de l’orchestre devenu de bal, en bord de scène.
Et affinités
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