Dans la peau d’une djihadiste : Anna Erelle face aux recruteurs de Daesh

La presse entière vient de l’annoncer : si le califat vient de sombrer avec la chute de Baghouz, le règne de Daesh n’est pas terminé, loin s’en faut. Privé de territoire physique, l’État Islamique compte bien miser sur des activités terroristes qu’il maîtrise parfaitement au même titre que l’outil numérique dont il use avec maestria pour sa propagande et ses recrutements. Spécialiste du sujet, la journaliste Anna Erelle a su mettre cette expertise redoutable en évidence dans le très marquant ouvrage Dans la peau d’une djihadiste sorti en 2015 alors qu’Isis bâtissait son territoire à grand renfort de batailles, d’attentats et de tortures.

Particulièrement au fait de l’emprise de Daesh sur le dark net et les réseaux sociaux, Anna navigue alors entre plusieurs comptes et identités virtuelles pour tisser un réseau de contacts et d’informateurs. Parmi ses avatars, Mélodie, jeune fille fascinée par l’Islam, tout juste convertie et qui un soir est contactée par le mystérieux Bilel, qui se révèle être un agent de Daesh particulièrement influent. Depuis la Syrie où il opère, le fringant terroriste épris d’Allah, de fringues de marques et de supplices en tous genres se met en devoir de draguer la donzelle et de la faire venir à ses côtés. Un informateur de ce poids, on ne laisse pas passer.

Du coup Anna va jouer le jeu, se voilant et se métamorphosant pour donner le change lorsqu’elle dialogue par skype avec celui qui s’avère être un personnage important de l’organigramme d’ISIS. De fil en aiguille, échange après échange, les informations s’accumulent, le portrait s’affine, les méthodes de recrutement apparaissent dans toute leur perversité, la folie destructrice, le fanatisme aveugle également. Mais tandis que l’enquête d’Anna progresse, la prise de risque augmente. Car même derrière son écran, séparée de son dangereux interlocuteur par des milliers de kilomètres, Anna n’est pas à l’abri, bien au contraire. Et de nous conter comment le piège va se refermer, la condamnant à l’anonymat et à la fuite.

Mis en forme en 2014, édité en 2015, ce témoignage prenant prend de nouveau sens aujourd’hui. Quatre ans après sa parution, ce récit haletant d’une enquête sur le fil du rasoir vaut par son caractère prophétique : on ne sait ce qu’est devenu Bilel. Des témoins disent l’avoir vu mort après un bombardement mais sa dépouille n’a pas été retrouvée. Le mystère demeure … comme pour des dizaines d’autres terroristes et leurs compagnes, au grand dam des services secrets qui doivent ainsi gérer une opacité de plus. Autre point important, cette enquête dévoile l’implication des femmes dans le processus du djihad. Si certaines sont enrôlées de force, d’autres sont complètement impliquées.

Par ailleurs le travail mené par Anna Erelle est révélateur des contraintes et des menaces subies par les reporters qui veulent pénétrer ce milieu pour le moins létal. Malgré toutes les précautions, personne n’est à l’abri, il faut ruser pour avancer sans se faire repérer, au péril de sa vie. Et le risque n’est pas que physique : endossant une identité qui n’est pas la sienne, Anna doit jouer le jeu d’un Bilel de plus en plus épris et qu’elle a bien des difficultés à contrôler pour l’amener à lui faire des confidences. Insultes, manipulation à l’affect, montagnes russes émotionnelles … excellent recruteur, le monsieur fonctionne comme un gourou de secte, broyant la personnalité de ceux qu’il a repérés comme des proies potentielles.

A plusieurs reprises, Anna témoigne de la détresse psychologique ressentie quand elle doit essuyer ses insultes avec un sourire de soumission, quand elle le calme lors d’une crise de jalousie, comme elle le recadre avec délicatesse quand il aborde les questions sexuelles, alors qu’elle est censée être mineure et prude. Si cette adulte sûre d’elle, professionnelle aguerrie en sort impactée, on imagine aisément l’effet sur des adolescents en perte de repère, en quête d’attention et d’affection. La démonstration, d’une efficacité redoutable, devrait justement être consultée par des publics jeunes en guise d’avertissement, car d’une grande clarté … toujours d’actualité bien malheureusement.

Et plus si affinités

https://www.jailu.com/Catalogue/temoignage/dans-la-peau-dune-djihadiste

Dauphine De Cambre

Posted by Dauphine De Cambre

Grande amatrice de haute couture, de design, de décoration, Dauphine de Cambre est notre fashionista attitrée, notre experte en lifestyle, beaux objets, gastronomie. Elle aime chasser les tendances, détecter les jeunes créateurs. Elle ne jure que par JPG, Dior et Léonard.