Capturer le souvenir de la vie dans le visage de la mort : Dead Still, série télévisée irlando-canadienne créée en 2020 par John Morton, aborde la pratique étrange et méconnue de la photographie post-mortem. Toute l’intrigue repose sur un photographe spécialisé dans ce rituel victorien en diable ; entre macabre, mystère, humour noir et enquête policière, nous découvrons son quotidien, un univers déconcertant où la mort est mise en scène avec une minutie d’esthète.
Enquête criminelle et photographie funéraire
Dead Still se déroule dans les années 1880, à Dublin ; la photographie post-mortem y est en vogue, surtout au sein de la classe bourgeoise. Brock Blennerhasset (interprété avec beaucoup de finesse par Michael Smiley) est un photographe reconnu dans ce domaine morbide. Son talent : effacer les signes de la mort qui stigmatisent les cadavres qu’il photographie, afin d’offrir à leurs proches une dernière image tangible.
Pour le moins insolite, sa routine professionnelle va prendre une tournure beaucoup plus sombre quand débute une série de meurtres qui imitent son style, ses mises en scène. Aux côtés de sa nièce Nancy Vickers (Eileen O’Higgins) et de Conall Molloy (Kerr Logan), son assistant dévoué, Blennerhasset va devoir enquêter, traquer ce mystérieux copieur. Chacun des six épisodes de la première et unique saison évolue ainsi entre intrigue policière prenante et comédie noire délicieusement grinçante.
Réussite sociale et pratique artistique
L’un des éléments les plus fascinants de Dead Still réside dans sa capacité à dépeindre avec justesse la mentalité très particulière de l’ère victorienne, entre respect des traditions, attitudes puritaines, pratiques tabous et modernité technologique en marche. La photographie post-mortem synthétise ces facettes contradictoires. Face à la mortalité élevée, notamment chez les enfants, les familles d’alors veulent immortaliser leurs chers défunts dans des poses qui donnent l’illusion de la vie.
Ces clichés permettent de surmonter le deuil, préservent la mémoire des disparus… et marquent une forme d’aisance sociale ; tout le monde n’y a pas accès financièrement. C’est donc affirmer son succès et sa modernité que d’y avoir recours. De quoi flatter les egos dissimulés derrière le chagrin, réel ou factice. Tout cela, Blennerhasset le sait et en joue, déférent, recueilli, diplomate, ferme cependant. Et désireux d’être reconnu et respecté pour ce qu’il est : un artiste.
Beauté funèbre et humour noir
Un artiste de l’étrange et du macabre, certes, mais un artiste tout de même. Un maître même, doté d’une patte, d’une griffe. Blennerhasset prépare les corps avec une attention quasi religieuse, jouant sur les détails, la lumière, la scénographie. Orchestrateur d’un rituel délicat, il s’impose comme un démiurge, un magicien qui réveille les morts le temps d’une séance de pause. Le contraste entre la beauté solennelle des portraits qu’il réalise et l’horreur des meurtres qui s’accumulent n’en est que plus frappant, renforçant l’atmosphère sombre et oppressante d’un récit aux accents gothiques.
Un drame gothique donc, en apparence du moins, car l’humour noir y triomphe. Si l’atmosphère victorienne est parfaitement rendue à travers les décors et les costumes, la série ne sombre jamais dans un excès de gravité, au contraire. Les dialogues ciselés, les situations cocasses à la limite de l’absurde viennent alléger une ambiance faussement funèbre. Michael Smiley, Blennerhasset secret et pudique, incarne à merveille cet équilibre fragile entre cynisme et mélancolie.
Ton décalé et modernité cannibale
Son personnage, à la fois distant et profondément humain, donne vie à une intrigue qui aurait pu, sous une plume, sombrer dans le cliché, le grotesque. Les scènes de deuil poignantes alternent avec des passages surprenants et drôles à la limite de l’absurde parfois. La série n’hésite pas à jouer avec les tabous entourant la mort, tout en respectant la douleur des personnages qui, eux, la vivent de plein fouet. Ce ton décalé renforce l’aspect surréaliste d’une investigation qui évoque aussi bien l’atmosphère de Sherlock Holmes que celle de L’Aliéniste.
Au-delà de l’enquête policière, Dead Still interroge profondément le passage du temps, la fin d’une époque, la naissance d’une autre. Si la photographie post-mortem est une tentative désespérée de figer l’instant, elle est en passe de disparaître. Comme sa nièce, suffragette en devenir et avide d’émancipation, le lui assènera crûment, Blennerhasset représente un monde en voie de disparition. Un artisan de la mémoire qui observe une société doucement s’effondrer sur elle-même pour accoucher d’une modernité cannibale, sans pitié.
On l’aura compris, Dead Still n’est pas une simple série policière victorienne. Ce récit brille par son originalité, son ton décalé et son univers singulier, où la photographie post-mortem devient le prisme à travers lequel nous observons la vie, la mort et tout ce qu’il y a entre les deux. Les performances des acteurs, la richesse visuelle et la subtilité de l’écriture en font une œuvre qui, tout en explorant des thématiques sombres, ne perd jamais de vue l’humain derrière le macabre.
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