Fleet Foxes : Crack-up (Nonesuch)
Juillet 2017, Montreux Jazz Festival : Robin Pecknold , Skyler Skjelset et leur troupe offrent un fabuleux concert pour défendre leur troisième album. Accessoirement, il viennent dialoguer avec Francis Scott Fitzgerald, influence revendiquée de cet opus, dont le titre est aussi celui d’un recueil de nouvelles de l’écrivain, qui se termine justement dans ce lieu hanté du Lac Léman . Du revival au survival folk, de l’oisiveté à la gravité, les Fleet Foxes sont désormais éloignés de l’euphorie qui entourait leur premier album. Classicisme et ambition, introspection et lyrisme se confondent parfois dans une même chanson. Beaucoup plus subtile qu’un manifeste prog-folk, la richesse instrumentale de Crack-up devrait nous accompagner encore longtemps.
Visible Cloaks : Reassemblage (RVNG Intl.)
Faut-il en rajouter à propos de Visible Cloaks, déjà encensé lors de l’épisode précédent ? On peut juste dire qu’on attend déjà avec impatience la suite de cette échappée électronique singulière.
Bibio : Phantom Brickworks (Warp)
Surprise de l’année pour ce second couteau post-moderne. Dans le registre ambient, de nombreuses références nous viennent à l’esprit à l’écoute de Phantom Brickworks: Brian Eno, Aphex twin, The Caretaker… Pourtant, Stephen Wilkinson résiste sans problème à tous ces noms écrasants. Le cliché automnal (écouter de la musique au chaud, en regardant par la fenêtre les feuilles tomber et le froid s’installer) est ici totalement transcendé. L’addiction pour cet album fait de Bibio un énième champion de Warp, écurie particulièrement éclectique cette année et décidément increvable.
Nous étions un peu inquiets pour les musiques à danser en 2017. Mais le coup d’éclat est venu de Jamaïque et son duo Equiknoxx découvert par les têtes chercheuses britanniques Demdike Stare. Ce premier véritable album, après une compilation déjà enthousiasmante en 2016, ne se contente pas de révolutionner le dancehall. Il nous entraîne dans une refondation apparemment brute et minimaliste, mais pourtant ensoleillée et luxuriante, où les chants d’oiseaux ont toujours la part belle. Le tout, secoué de basses d’une redoutable précision.
Ryuichi Sakamoto : Async (Milan)
Les indices biographiques (un combat contre la maladie) et la carrière du musicien, pas toujours inoubliable ces dernières années, ne nous préparaient sans doute pas à Async. Une orfèvrerie sonique loin de se dévoiler à la première écoute et une sophistication, notamment dans le traitement des voix, font de cet album un étonnant vecteur d’émotion. Un retour en grâce loin de tout snobisme ou préciosité.
Lieven Martens Moana : Idylls (Pacific Sound City Visions)
“Avec les field recordings , je ne veux pas faire allusion à l’évasion ou au sensationnalisme, plutôt à un autoportrait » . Ainsi s’exprimait Lieven Martens Moana au moment de la sortie de cet album qui est aussi un des plus beaux objets de l’année.
Autrefois chantre du new age et de l’exotica déphasés avec son projet Dolphins into the future, le musicien flamand ne craint pas les amalgames entre classicisme et avant-garde. Ce journal de bord qui part sur les traces de Robert Louis Stevenson est le sortilège de l’année. Un audio-book imaginaire qui prouve que les aventures musicales sont encore devant nous.
Chaque album de Wolfgang Voigt sous le pseudonyme GAS, semble faire son effet en différé. Avouons qu’il nous aura fallu du temps pour succomber à ses précédents chefs-d’œuvre ambient. Avec Narkopop, l’aspect symphonique semble s’imposer de plus en plus dans sa musique. Si la grandiloquence guette, c’est sans doute pour mieux nous perdre à nouveau dans la forêt, sujet de prédilection de ce projet toujours aussi majestueux. Interrogez les témoins de sa tournée 2017 dans quelques villes d’Europe. Beaucoup vous parleront d’un son incroyable, et de visions proches de la réalité virtuelle.
Quelle accessibilité pour la musique électronique ? Comment conserver sa personnalité derrière les machines ? L’originalité est-elle compatible avec le grand public ? La nouvelle livraison de Laurel Halo offre de multiples réponses à toutes ces questions embarrassantes. Aidée par d’autres filles (Julia Holter, Klein,..) taraudées par les mêmes interrogations, l’américaine semble s’amuser de tout cela et réalise son plus bel album. De l’abstraction, des chansons, de l’humour, Dust est une nouvelle réussite.
Shabazz Palaces : Quazarz vs.The Jealous machines (Sub-Pop)
Belle ambition pour le duo hip-hop de Seattle cette année. On gardera en mémoire un de leur deux albums publiés, accompagné par une bande-dessinée magnifique au format géant. Les extra-terrestres imaginés par Ishmael Butler et Tendai Maraire s’interrogent avec malice et ironie sur la relation des terriens avec leurs téléphones connectés. Sur le front musical, la même inventivité, toujours à l’abri de la grosse artillerie rap US et de sa pauvreté thématique. Shabazz Palaces continue d’illuminer la décennie.
Colleen : A flame my love, a frequency (Thrill Jockey)
Une brève conversation festivalière avec King Britt, confirmait tout le bien que nous pensions de cet album. En effet, la française Colleen (Cécile Schott) a enregistré son dernier album dans le studio du musicien-producteur de Philadelphie. Un disque en réaction aux attentats parisiens du 13 novembre 2015. Mais pas de psychodrame ou prise de position envahissante. Juste une collection de chansons d’une sincérité indiscutable. Et la passion intacte de l’artiste pour les instruments de musique. Hier, la viole de gambe, aujourd’hui les synthétiseurs. Un parcours exemplaire depuis plus d’une décennie.