Mercredi 7 janvier 2015 : alors que la rédaction de Charlie hebdo est massacrée par des terroristes, la France, d’effroi, ouvre les yeux. On vient, dans le pays de Voltaire et de Zola, de s’attaquer à la liberté d’expression, en frappant des journalistes et des artistes dans l’exercice de leur travail. Soudain tout un pays prend conscience de la fragilité de ce droit pourtant inscrit au fronton de notre République.
Ce n’était cependant pas la première attaque qu’essuyait l’hebdomadaire libertaire fondé dans les années 70 par Cavanna et Choron dans le sillage de Hara-Kiri. L’affaire des caricatures de Mahommet en 2006 marque en la matière un durcissement très net, … qui soudain place le magazine dans une position assez similaire à celle de nombreux organes de presse opérant dans des pays totalitaires où la censure est quotidienne.
Le projet Fini de rire a vu le jour à la suite de ce procès, afin d’interroger la problématique de la liberté de la presse au niveau mondial en partant du statut du dessinateur de presse. A la fois observateur de l’actualité et artiste visionnaire, le caricaturiste, d’un trait de crayon, brosse les dessous de la politique, la réalité des mœurs, les revers de conscience, dénonçant en cela de façon féroce, drôlissime et incontournable les hypocrisies multiples de temps agités et complexes.
De par son rôle et son activité, ce journaliste d’un genre à part, qui pointe du doigt les combats à mener, fait rire de l’inacceptable, tourne en dérision et ramène les choses à leur juste valeur, cristallise les peurs, les rancœurs, les colères et les violences. Chaque dessin participe de l’Histoire en marche pour la rendre lisible par le commun des mortels. Et cela, certains ne le tolèrent pas, ne l’acceptent guère : « Si vous voulez un baromètre de la liberté d’expression et comprendre les tabous dans un pays, il faut aller voir les dessinateurs de presse. »
Le dessinateur Plantu ébauche ici la ligne éditoriale du documentaire tourné par Olivier Malvoisin et de tout le travail d’exploration interactive qui le complète sur le site d’ARTE. En une cinquantaine de minutes jalonnées d’interviews, nous découvrons les conditions de travail de ces artistes placés en premier ligne des soubresauts politiques et sociétaux du XXIème siècle. C’est en Europe, aux USA mais également en Iran, en Palestine et en Israël que le réalisateur va à leur rencontre, mettant ainsi à jour les tabous propres à chaque univers : interdit religieux, sexisme, dérives économiques, …
Une carte interactive permet d’élargir le champ d’investigation, selon trois axes, géographie, thématique et artistique. On comprend en fouillant ces documents, en écoutant les témoignages, que la position de ces observateurs est très souvent menacée, périlleuse et courageuse à la fois, qu’à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison, leur travail peut déclencher les foudres d’une institution, d’un puissant, d’un public qui aura chargé l’œuvre d’un symbolisme qu’elle ne contient initialement pas. Lectures erronées, extrémismes multiples, différences culturelles, les enjeux, les risques sont partout.
Cet exercice d’équilibriste est néanmoins nécessaire, vital à la prise de conscience, à la vigilance citoyenne. Fini de rire, s’inspirant du procès vécu par Charlie Hebdo, a l’intelligence de ne jamais en parler pour ne pas tomber dans la polémique stérile et partisane, en offrant un panorama bien plus vaste qui généralise l’enquête et brosse un tableau inquiétant : aujourd’hui partout même dans la société occidentale, des individus peuvent vouloir en empêcher d’autres de s’exprimer, de communiquer, d’informer, de faire réfléchir.
Et à chaque seconde, cette liberté si fragile peut être anéantie dans le sang. On pensait que cela avait lieu dans les pays en guerre, les régimes totalitaires, … on sait maintenant que cela peut arriver de l’autre côté de notre rue et depuis mercredi, le travail de Olivier Malvoisin, pourtant réalisé il y a 8 ans, ne sonne plus comme une étude mais une mise en garde. Que nous avons négligée, dont nous payons le prix, que nous devons voir et revoir pour comprendre afin d’agir, et de protéger comme il se doit ce droit inaliénable.
Et plus si affinités
http://www.arte.tv/guide/fr/046174-000/fini-de-rire#details-crew