Aujourd’hui nous vous faisons grâce des habituelles amorces qui introduisent nos chroniques pour entrer direct dans le vif du sujet : bon Dieu qu’est-ce qu’on a eu froid !!!
Deux heures de projo dans un Glazart pas chauffé, avec une température polaire dehors, toutes les portes ouvertes et le bar placé en extérieur : le public a souffert et peu sont restés jusqu’au terme du film signé Doune, alias Frédéric Sadaune et Astrid. Une manière magistrale de prouver l’état de délabrement du circuit des salles consacrées aux musiques amplifiées, cheval de bataille des réalisateurs et de leur asso Culture d’Images ?
Aucune idée mais force est de constater qu’on a frôlé la congélation forcée, à tel point que l’ordi projetant le film a sauté plusieurs fois, ajoutant de longues et inutiles minutes à notre supplice frigorifique, tandis que notre objectivité se restreignait de façon inversement proportionnelle à la hargne et au ronchonnage. Et c’est dommage. Car le sujet de Noisy Places est accrocheur. Pas pour rien que je suis restée jusqu’au bout, recroquevillée dans mon transat, pleurant intérieurement pour une couverture de survie. Je me suis vite laissée prendre par le récit picaresque des SMAC (salles musiques actuelles pour les néophytes) et autres lieux dédiés aux musiques amplifiées.
Un récit en continu que Fred et Astrid suivent depuis presque dix ans : des passionnés de ciné et de musique qui ont conjugué leurs deux dadas, produisant d’abord un premier chapitre de 55 minutes Live en 2004, réduit à 15 minutes en 2005 et intitulé du très scolaire A quoi servent les salles de musique actuelle ?. 2010 amène les 90 minutes de Alive, qui ouvriront la voie à Noisy Places. Ouvrir la voie … et la problématique : le premier doc portait sur le vécu de trois lieux dédiés, le second revient sur 20 ans d’histoire des SMAC, le pourquoi du comment, une fresque sur les pionniers, le troisième chapitre vient tout naturellement sur les problèmes actuels, les limitations après l’apogée et la dure confrontation avec une industrie musicale en pleine refonte.
Des docs longs (trop peut-être), des visages et des lieux qui reviennent d’un film sur l’autre, des redites parfois, des questions qui pourraient être un peu plus fouillées sur certains points, un tournage en amateur avec les moyens du bord (et pas de budget tant qu’à faire vu que l’asso n’a pas de subs), des cadrages et une captation son pas toujours au top : ça c’est pour les critiques. De fait Noisy Places, tourné au gré des projections nationales de Alive, est assez bancal sur les aspects techniques et manque de tenue dans la narration et le montage. Du taff d’amateur, vous diront les pros de l’objectif et du montage. Certes et les réals en ont conscience, … et n’ont cure de l’assumer car leur but est ailleurs : parler de ces endroits émergés de nulle part à la fin des 80’s par la force de la passion de leurs créateurs, dingues de rock et de concerts, qui progressivement, patiemment, fébrilement, vont forger des sites pros, organisés, avec des équipes efficaces, conjuguant émergence des talents et rencontres citoyennes tout en essayant de mettre en adéquation pouvoirs publics méfiants pour ne pas dire frileux et rockers rebelles et libertaires (certains groupes interviewés sont assez représentatifs de ce côté « .
Une mutation sociétale en marche. Quand on regarde l’ensemble des docs mis bout à bout, ils ont déjà un point important : ils ont le mérite d’exister et d’embrasser cette démarche encyclopédique qui ne peut cadrer avec des coupes. Une mémoire vive, racontée par ses acteurs, entre émotions, bons souvenirs, discipline, concessions … et amertume. La fermeture du Cabaret électrique au Havre introduit Noisy Places comme un tocsin, une alarme. Oui, ce qui a été bâti avec tant de fougue pourrait s’effondrer par une simple décision politique, une signature au bas d’un papier. Parce que c’est la crise, parce qu’il n’y a plus de thune dans les caisses, parce que le rock et les musiques amplifiées « c’est pas de l’art », parce que … Les professionnels du secteur le savent et luttent actuellement pour adapter la filière, avec nombre de dommages collatéraux. Aussi le travail de Doune ne leur apprend rien.
Mais les spectateurs eux ne le savent pas. Quant aux politiques et aux décisionnaires, ils n’ont pas vraiment notion de ce que représente la culture rock dans l’inconscient populaire. Tourné à l’arrache, dans un esprit très proche des pionniers de la SMAC attitude, Noisy Places porte ce patrimoine, cette mentalité. Et donne la parole à ceux de l’ombre qu’on n’interviewe pas, jamais, parce que ce ne sont pas des stars. Petits groupes, directeurs de salles ou de label, … leur témoignage est lourd de menaces pour l’avenir. Et plusieurs questions de se poser :
- peut-on concilier la hargne libertaire créatrice et sa régulation par les pouvoirs publics ?
- tenues qu’elles sont par les décisionnaires politiques, les SMAC vont-elles pouvoir rester des lieux de création et d’innovation, renouvelant ainsi le tissu de la scène musique française avec de jeunes talents ?
- où ces groupes émergents vont-ils trouver refuge pour créer et évoluer si les SMAC disparaissent ?
Des questions parmi tant d’autres, et on s’étonne à peine que ce soient des passionnés amateurs qui les relaient en place des média. Il semblerait du reste que ça marche : une autre projo est prévue à Paris, au chaud cette fois-ci, et espérons-le avec des décisionnaires dans la salle. Quant au format adopté, il s’adapte à une diffusion internet, et trouverait parfaitement sa dimension dans une websérie par ewemple. Affaire à suivre donc. Avec en tête cette petite histoire : un jour, dans les années 70, une nana nommée Sue Rynski a pris son appareil photo et a commencé à photographier les concerts punk de la scène de Detroit, plus spécifiquement un groupe nommé Destroy all monsters. Une passionnée, dingue de leur musique, la vivant dans ses tripes, alternant clichés et pogos furieux pendant les sets. Aujourd’hui les photos de cette désormais artiste reconnue, sont les seuls témoignages de cette tornade créative aussi formidable qu’éphémère.
C’était fait à la won again, avec deux bouts de ficelles, un grand n’importe quoi. Mais c’est resté. Et c’est entré dans nos mémoires pour faire l’Histoire. A méditer quand vous verrez Noisy Places.
Et plus si affinités