Focale ce jour sur Le Pape et la mafia, la très intéressante enquête menée par John Dickie, journaliste anglais spécialisé dans l’étude des relations ambiguës, complexes et pourtant très fortes existant entre la mafia et l’Église catholique. Sous l’objectif de Jesus Garces Lambert, John Dickie nous balade de Rome à la Sicile en passant par la Calabre pour mettre en lumière le rapport de séduction et de force qui se joue entre parrains et ecclésiastiques.
Une déclaration de guerre
Camora, Cosa Nostra, N’Drangheta, … l’ensemble des corps mafieux prit en pleine face l’excommunication décrétée publiquement par le Pontife François Ier lors d’un prêche prononcé à Reggio di Calabria en juin 2014. Pire qu’une rupture, un camouflet, un défi, … une déclaration de guerre. Avec en première ligne les abbés, curés et moines placés dans les paroisses tenues par les gangs, qui à peine installés, voient débarquer les séides venus les racketter ou les inviter à officier en faveur des hommes d’honneur tous confis en dévotion, mais n’hésitant pas à détourner le parcours des processions jusque devant leurs portails pour prouver leur toute puissance. Dans ces conditions, difficile de résister et de dire non. Certains collaborent de plein gré, prétextant qu’ils doivent aider les pécheurs. D’autres plus rares résistent, refusent ce système … et en meurent.
La religion comme une arme
Bombes, incendies, tabassages, exécutions, il ne fait pas bon dire non aux mafieux, et la soutane n’est en rien une protection. C’est que la religion constitue ici une arme, une main mise supplémentaire sur des populations déjà très assujetties économiquement et tremblant de peur à l’idée des répressions éventuelles en cas de rébellion. Aussi les généraux de la mafia n’hésitent pas à noyauter la hiérarchie catholique jusqu’à la basilique Saint Pierre. Le documentaire par exemple met en évidence la manière dont la banque vaticane a été impliquée dans le blanchiment de l’argent du crime. Et la manière dont fut supprimé l’orchestrateur de cette alliance contre nature.C’est l’intérêt du documentaire : démonter les rouages subtils du pouvoir mafieux, la méthodologie appliquée par cette force parallèle pour asseoir sa puissance par tous les moyens possibles, la violence, l’argent … et la foi.
Un douloureux travail d’assainissement
La puissance, … c’est ici le véritable trait d’union qui trop longtemps a relié les organigrammes délictueux et religieux, légitimé ce pacte diabolique, hypocrite et mortel, en déni total des règles dictées par les textes sacrés et les lois démocratiques. Désormais ce pacte est dénoncé, réfuté, dissous … du moins par le Pape et ses conseillers. Mais qu’en est-il des autres acteurs de cette partie de poker menteur aux enjeux énormes ?C’est la problématique posée. Quoi qu’il advienne, le travail d’assainissement sera long, douloureux, un chemin d’embûches et de sang, qui relance le rôle missionnaire d’une église prise au piège de ses compromissions inacceptables et coupables. Histoire, politique, société, diplomatie, justice, en une heure et demi d’analyse pointue doublée d’un reportage prenant, on mesure à quel point la situation est embrouillée, délicate … et urgente. On comprend aussi que l’Église à ce jour est peut-être la seule à pouvoir faire plier cette junte, car elle agit au niveau des consciences. C’est toute sa responsabilité, elle ne peut y échapper.
Et plus si affinités
Vous pouvez regarder ce documentaire sur ARTE.