2015 : l’année des célébrations ! Avènement de François Ier, bataille de Marignan, mort de Louis XIV, bataille de Waterloo, fin de la Seconde Guerre Mondiale, libération des camps de concentration, création de l’ONU … en matière de commémoration, on ne chôme pas, et on fait dans le lourd au niveau des événements. Dans le lourd et l’ignoble. Car en regard de la Shoah et de ses massacres innommables, se dresse le spectre de la guerre du Vietnam qui en dit long également sur l’ignominie de l’être humain.
Eh oui, 2015 c’est aussi les 40 ans de la fin du conflit vietnamien ; ils passeraient presque inaperçus, si l’on ne nous en rappelait la désastreuse existence au travers de documentaires aussi éprouvants que celui diffusé actuellement par Arte. « Attention : ce programme comporte des passages déconseillés aux personnes sensibles et aux plus jeunes ». Ce genre de mise en garde on l’affiche habituellement au générique de films d’horreur … or c’est juste de ça dont il s’agit, et pas besoin de zombis ou de vampires pour alimenter le processus : l’homme suffit amplement. L’horreur … « Horror has a face … » Tous ceux qui ont vu Apocalypse now se souviennent de ces mots, prononcés d’une voie traînante et fataliste par le colonel Kurtz pour expliquer l’essence même du conflit vietnamien. La filmographie documentant cette guerre est riche et charismatique : on peut y ajouter Platoon d’Oliver Stone, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, Birdy d’Alan Parker, Rambo de Ted Kotcheff, Good morning Vietnam de Barry Levinson, Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, tant d’autres encore …
A chaque fois comme un point commun, une récurrence tragique : l’horreur. Une horreur qui s’enracine dans le réel. C’est ce qui ressort des 90 minutes consacrées par la réalisatrice Christel Fromm au récit de cette « boucherie héroïque » soit disant moderne, témoin de l’universalité de la barbarie. Dés le générique on comprend qu’on traverse la passerelle menant de la fiction au véridique. Des hélicoptères dans le soleil écrasant, une jungle bombardée, des bombes qui explosent, brûlant toute vie, … ce n’est pas une scène inventée mais un film de l’époque. Nous sommes dans l’ancienne Indochine française démantelée suite à une guerre de décolonisation particulièrement meurtrière ; le Vietnam coupé en deux va confronter le Nord communiste et le sud impérialiste. Voici un nouveau front pour la Guerre Froide, où l’Amérique, sûre de triompher va s’embourber sans retour, pour y prendre une déculottée magistrale de la part d’adversaires peu équipés certes mais d’une motivation sans faille. Endoctrinés jusqu’au fanatisme par le discours du maccarthysme, formés au meurtre par les cadres de l’armée, les GI se casseront les dents sur ce mur de conviction, évacuant finalement le pays non sans avoir laissé derrière eux un véritable abattoir.
Un holocauste, une injustice, … et la violence raciste et tyrannique d’une surpuissance étalée au grand jour devant les caméras du monde entier. Médiatisée, la guerre du Vietnam va servir de détonateur à des affrontements sociaux insurrectionnels aux quatre coins de la planète. C’est un mode de pensée, de vivre, de gouverner qui est ici refusée en bloc par une génération avide de paix et de tolérance. Autant dire que les photos des gamins brûlés vifs au napalm, des boys agonisant dans les rizières, des paysans du cru éventrés au milieu des huttes en flamme, ça la fiche mal quand on prétexte d’agir au nom de la liberté et de la démocratie. L’hypocrisie du discours officiel ressort de l’horreur en direct, et pour ceux qui reviennent aux USA à peu près valides mais à jamais traumatisés, c’est l’impossibilité de se réintégrer dans la communauté qui les ignore après les avoir sacrifiés.
Ce lent processus, Vietnam – la sale guerre le raconte étape par étape, sans nous épargner la vue de la vérité. Des images fortes, inoubliables, inscrites dans la conscience collective comme une honte inacceptable : de témoignages en documents d’époque, la réalisatrice déroule un processus terrifiant d’extermination. L’auréole américaine en prend un rude coup et l’on comprend pourquoi ultérieurement la US Army refusera la présence de journalistes sur le théâtre de ses opérations militaires : c’est qu’ils sont autant de témoins d’un système, d’une mentalité, d’une manière de former les soldats, de les dresser comme on le ferait de chiens de combat. Le film est donc à voir comme l’évocation fidèle d’un événement incontournable de la deuxième partie du XXeme siècle, événement malheureusement évacué des livres d’Histoire pour demeurer l’apanage du cinéma de guerre à grand spectacle.
Et plus si affinités
http://www.arte.tv/guide/fr/051087-000/vietnam-la-sale-guerre