Une erreur de traduction : en chinois, ce que nous appelons l’empire du Milieu est en fait le centre du monde. La nuance, de taille, éclaire d’un jour nouveau la stratégie géopolitique établie par Xi Jinping pour faire de son pays la première puissance mondiale. Une stratégie mise à plat dans l’excellent documentaire de Sophie Lepault, sobrement intitulé Le monde de Xi Jinping.
Président à vie
En 90 minutes aussi passionnantes que claires, la réalisatrice met en évidence les projets d’un dirigeant dont le passé éclaire bien des traits de caractère. Fils d’un membre éminent du parti chinois, n’a-t-il pas survécu aux purges de la Révolution Culturelle dans les années 60 ? De quoi forger un caractère d’acier qui explique pas mal de ses décisions, toutes très stratégiques. Nous le voyons gravir tous les échelons du parti communiste chinois pour en prendre la tête dans les années 2010, avant d’être bombardé président à vie en 2018 après avoir transformé la Constitution à cet effet.
La première puissance mondiale
Même ses mariages furent des calculs. Marié en secondes noces avec une égérie de l’Armée populaire de libération, chanteuse reconnue, il profite de cette célébrité pour asseoir un peu plus son pouvoir. Une main de fer dans un gant de velours, avec en perspective la promesse faite à son peuple de faire de la Chine la première puissance mondiale. Date butoir : 2049, un siècle après la création par Mao Zedong de la république populaire de Chine. Le compte à rebours est donc lancé, avec à la clé l’unification du pays, ce qui implique de faire plier Hong-Kong, de reconquérir Taïwan.
https://youtu.be/Jm-RKyY6UY0
Politique hégémonique
Et d’ancrer la Chine un peu partout à la surface du globe. Militarisation accrue, enracinement économique, nouvelles routes de la soie, lobbying féroce … les moyens ne manquent guère pour porter cette politique hégémonique qui biffe les droits de l’Homme et autorise l’écrasement des Ouïghours, dans un silence presque assourdissant. C’est que la Chine a investi largement en Europe comme aux États-Unis ou en Afrique, dans une logique de fusion-acquisition redoutable, que le documentaire décortique sans complaisance. Accaparant les positions stratégiques, la Chine tient les pays qu’elle aide financièrement à la gorge.
Le rêve chinois au prix fort
Le noyautage prend des formes diverses, inquiétantes. La propagande se charge de faire taire les opposants, séduit même certains hommes politiques étrangers conquis par tant de hardiesse et de succès et qui se font les ambassadeurs empressés de ce modèle. La population chinoise ? Hypnotisée par la croissance économique, l’accès à la surconsommation, des réseaux sociaux ultra-surveillés et calibrés pour noyer les usagers dans une complète superficialité. Tout en les fliquant au quotidien. Le rêve chinois tel que le façonne Xi Jinping a beau être fascinant, il se paie au prix fort : la démocratie ne viendra qu’après la victoire. Un jour peut-être ?
Objectifs à long terme
Pas sûr. Pour l’instant, le rouleau compresseur chinois prend de la vitesse, à la faveur de la crise sanitaire internationale. Le COVID lui a permis de démontrer ses capacités d’adaptation, sa grande discipline, sa force de créativité, ses moyens énormes. Le documentaire interroge aussi cette capacité à rebondir sur une situation d’urgence pandémique, tout en préservant des objectifs à long terme que les puissances occidentales ont malheureusement enterré depuis longtemps. Une véritable leçon de stratégie géopolitique digne de Sun Tzu et qui confirme cette prédiction d’un certain Napoléon : « lorsque la Chine s’éveillera, le monde tremblera ».