« Le Dossier Odessa » : une chasse aux nazis signée Frederick Forsyth

The ARTchemists Le Dossier Odessa

« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde » prophétisait un certain Bertold Brecht qui savait de quoi il parlait puisqu’il avait dû fuir le nazisme en 1933. Publié en 1972, Le Dossier Odessa (The Odessa File) confirme les dires du dramaturge berlinois dune manière magistrale. À la croisée du roman d’espionnage et de l’enquête journalistique, le livre de l’auteur Frederick Forsyth met en lumière les ramifications secrètes du nazisme APRÈS la Seconde Guerre mondiale, alors que les sbires survivants d’Hitler entretiennent la flamme de leur idéologie mortifère dans une Allemagne de l’Ouest refusant obstinément d’affronter son passé.

Quand un journal intime fait basculer une vie

Hambourg, 1963. Jeune journaliste ambitieux et solitaire, Peter Miller entre en possession du journal intime d’un vieillard solitaire qui vient de se suicider. Ce survivant juif des camps y a relaté, outre le calvaire subi durant sa déportation, l’existence de l’Organisation der ehemaligen SS-Angehörigen. Le réseau clandestin ODESSA a, selon lui, conçu afin de protéger les anciens SS de poursuites judiciaires en les exfiltrant vers des pays comme l’Argentine ou l’Égypte pour ensuite leur fournir de nouvelles identités et couvrir leurs crimes.

Désireux d’en savoir plus, Miller décide de mener l’enquête. Il s’infiltre dans ce réseau obscur avec l’aide d’un agent israélien du Mossad et d’un ancien SS repenti. Son objectif : retrouver Eduard Roschmann, surnommé le « Boucher de Riga », et le confronter à ses crimes. Mais plus Miller avance, plus il découvre un monde où la justice, la politique, l’industrie et le silence s’entrelacent dangereusement. Ce qui va le pousser à bien des extrémités, sachant qu’il est aussi en quête de justice.

Une fiction ancrée dans la réalité

Si le roman est une œuvre de fiction particulièrement bien menée, il s’appuie aussi sur des faits historiques avérés. L’organisation ODESSA a bien existé, même si son ampleur exacte fait encore l’objet d’investigations historiques De nombreux anciens nazis ont effectivement échappé aux procès de Nuremberg grâce à des complicités au sein même des institutions allemandes, du Vatican, et via des filières d’exfiltration comme la Ratline.

Le personnage de Roschmann est inspiré d’un véritable criminel de guerre, dont le passé a été révélé grâce à l’enquête de Simon Wiesenthal, célèbre chasseur de nazis. Forsyth, lui-même ancien journaliste et correspondant de guerre, a mené une investigation minutieuse, en consultant des archives, des dossiers confidentiels et en interrogeant des survivants de la Shoah. Ce travail documentaire confère au roman une puissance glaçante de réalisme.

Un style nerveux et journalistique

Le Dossier Odessa ne se contente pas de divertir, il éclaire une zone d’ombre de l’histoire européenne d’après-guerre. Frederick Forsyth se distingue par son style précis, quasi journalistique. Son écriture se veut factuelle, rythmée, tendue, évitant le pathos pour laisser parler les faits. L’intrigue avance à un rythme soutenu, alternant scènes d’action, dialogues tendus et passages d’analyse historique. Chaque détail compte, chaque révélation relance le suspense.

Le roman est aussi traversé par une réflexion sur la mémoire, la justice et la vérité, dans une Allemagne encore marquée par l’ombre du Troisième Reich. Il interroge : que faire des bourreaux restés impunis ? Jusqu’où aller pour obtenir justice ? La vengeance peut-elle être un moteur légitime ?

Comprendre, dénoncer, réparer

Dès sa sortie, le roman a été salué pour sa capacité à mêler thriller haletant et rigueur historique. Il s’inscrit dans une veine littéraire post-Seconde Guerre mondiale qui cherche à comprendre, dénoncer, parfois réparer. Dans la lignée d’auteurs comme John le Carré ou Robert Harris, Forsyth s’impose comme un conteur engagé, capable d’utiliser la fiction pour mettre au jour des vérités dérangeantes. En 1974, Le Dossier Odessa est adapté au cinéma par Ronald Neame, avec Jon Voight dans le rôle de Peter Miller et Maximilian Schell dans celui de Roschmann.

Le film a connu un succès relatif, n’égalant guère la profondeur et la complexité du roman. Plus qu’un roman d’espionnage, Le Dossier Odessa explore les zones grises de l’Histoire, dans un récit tendu et lucide sur la manière dont les démons du passé peuvent hanter le présent. Frederick Forsyth y déploie tout son talent de narrateur pour offrir une œuvre à la fois captivante et profondément engagée, qui continue de résonner aujourd’hui à l’heure où les questions de justice, de mémoire et de vérité restent plus que jamais d’actualité.

Et plus si affinités ?

Vous avez des envies de culture ? Cet article vous a plu ?

Delphine Neimon

Posted by Delphine Neimon

Fondatrice, directrice, rédactrice en chef et rédactrice sur le webmagazine The ARTchemists, Delphine Neimon est par ailleurs rédactrice professionnelle, consultante et formatrice en communication. Son dada : créer des blogs professionnels. Sur The ARTchemists, outre l'administratif et la gestion du quotidien, elle s'occupe de politique, de société, de théâtre.

Website: https://www.theartchemists.com