Et plus spécifiquement le startuper, si l’on en croit le flamboyant roman de Rachel Vanier. Publié en 2017 aux éditions Intervalles, Ecosystème relate les péripéties de Marianne et Lucas, créateurs d’applis révolutionnaires et chasseurs de licornes, de part et d’autre de l’Atlantique. Purs produits des écoles de commerce pour l’une, de digital et de programmation pour le second, nos deux aventuriers de la néo-économie perdue sont fascinés, obsédés par le mythique animal qui sert de symbole à ces entreprises à croissance fulgurante, qui multiplient les grosses levées d’argent comme d’autres vont aux toilettes, tout en transformant la société de fond en comble, pour finir glorieusement acquis par une des GAFA. Et ils sont prêts à la traquer bien au-delà de leur zone de confort, cette licorne tant désirée, à San Francisco même, la Mecque des nouvelles technologies, le paradis des startups, là où tout a commencé.
Problème : partir, c’est bien, avoir la thune pour, c’est déjà plus aléatoire ( un startuper qui se respecte flirte toujours avec le découvert permanent), gérer le clash culturel, là c’est carrément du sport extrême. A Paris, c’est Marianne la boss, qui monte au créneau, prend en main les stagiaires, va voir les clients, séduit les investisseurs, prend la parole lors du sacro saint pitch et des présentations publiques ; Lucas, en bon geek et gamer qu’il est, s’efface, se cantonnant dans le code dont il est un véritable maître, un sorcier. Mais une fois leur enfoiré d’associé sorti du jeu, une fois sur le tarmac de Frisco, la donne s’inverse, Lucas se révèle dans ce patrimoine qui est le sien, qu’il connaît sur le bout des doigts, tandis que Marianne s’étiole, se perd, frôle le burn-out.
Il faut dire que l’écart de civilisation est intense, tel que Rachel Vanier le décrit, sans pitié, avec une ironie mordante d’experte. Femme et entrepreneuse, elle a donné, le milieu des startups, elle y évolue depuis des lustres, bombardée directrice de la comm’ de la prestigieuse station F après avoir aiguisé sa plume dans la prod de contenus de qualité, percutants et acérés. C’est en observatrice attentive, en analyste pertinente qu’elle en disserte, façonnant les aventures de ses deux héros pour aborder chaque facette de ce milieu, où la camaraderie et le grand partage ne sont que de façade. Vive la concurrence, l’égorgement virtuel, la piraterie numérique, le vol des idées, l’exploitation dans les grandes largeurs.
Introduisant chacun des chapitres de cette épopée par une citation de startuper célèbre, elle s’ingénie à en démonter le sens véritable, confrontant ces maximes post-modernes avec le terrain sur lequel Marianne et Lucas crapahutent en mode commando. Et rien ne leur sera épargné, il faut bien le dire. Pire, à chaque fois qu’ils solutionnent un problème, un nouvel emmerdement survient qui anéantit la victoire à peine et si chèrement acquise. Montagnes russes perpétuelles, qui interdisent l’idée même d’une vie tranquille, avec job grassement payé à la clé (ce qu’ils peuvent facilement obtenir vu leurs diplômes) et quiétude d’une existence personnelle intime et épanouissante qu’ils se refusent, préférant galérer dans le plus pur esprit warrior. Pour en plus vendre du vent, car jamais nous ne saurons la teneur de cette appli stupéfiante qu’ils s’échinent à commercialiser.
Ce qui est un comble car ils y laissent bien des plumes alors qu’ils pourraient aisément sortir de cette spirale infernale … mais non, malgré l’effroi de leur entourage, malgré les gnons constants, les revers de bâton, les moralisateurs qui pullulent, ils persistent… comme le feraient des junkies ? Et malicieusement, Rachel Vanier établit un parallèle hilarant avec le monde du SM, notamment dans le chapitre de clôture, qu’elle conclut sur un pied de nez cocasse qui n’est pas sans rapport avec l’ambiance des Chroniques de San Francisco d’Armistead Maupin. Le tout se lit avec plaisir, et un véritable pincement au cœur, quand on est soi-même de la partie, ou qu’à un moment de sa vie, on a trempé dans cet univers. Ceux qui ont tâté de l’entreprenariat s’y retrouveront à toutes les pages, dans les situations, dans les réactions, dans les angoisses, les points de vue, le besoin de reconnaissance, et cet indéfinissable besoin d’en découdre avec le monde.
Merci à Joana Dias, qui m’a collé ce magnifique livre entre les pattes.
Et plus si affinités