Si l’Histoire est un éternel recommencement, l’Art a-t-il encore une fonction de prémonition ? On s’interroge en regardant le terrible En Guerre de Stéphane Brizé. Le réalisateur de La Loi du marché y relate le combat des ouvriers de Perrin industrie pour préserver leurs emplois et leur usine. Autour de Vincent Lindon, seul acteur pro du casting, des salariés, des syndicalistes, des ouvriers, des chefs d’entreprise, des conseillers départementaux … autant d’anonymes qui apportent leur vécu, leur expérience pour rehausser le drame vécu par ceux de Metal Aquitaine, liquidés sans pitié par leur propriétaire allemand Allemand Dimke en 2015. Exutoire ou la transmission d’une colère sans fin ? Surtout une analyse particulièrement pertinente au regard de l’actualité …
A l’usure …
C’est que le scénario d’En Guerre est le fruit d’un long travail de recherche et de consultation auprès de syndicalistes comme Xavier Mathieu, déjà croisé dans La saga des Conti, d’avocats spécialisés dans le droit du travail, de DRH, … bref tous les acteurs impliqués dans la réalité d’un plan social. En autopsiant ce processus, Brizé dévoile les tactiques patronales mises en place pour réussir ces liquidations, le manque de moyens des syndicats qui se heurtent à des murs. « L’union fait la force » dit le proverbe ; c’est donc à l’usure que la direction du groupe allemand compte avoir ces ouvriers qu’ils ont par ailleurs largement vampirisés depuis des mois, les contraignant à accepter réduction de salaire et augmentation des cadences pour sauver une usine soi-disant déficitaire.
Mensonge bien sûr, contredit par les résultats ; mais cela, la direction ne veut pas l’entendre, même quand les politiques s’en mêlent. Dialogue de sourds ? Pire. Des gens qui ne parlent pas la même langue, qui ne viennent pas de la même planète, et qui n’ont pas les mêmes valeurs. Il faudra passer par la violence, aller jusqu’à l’irréversible pour qu’enfin une solution se dégage. Entre temps, désunion, manque de cohésion, attentes divergentes, sentiment affreux d’être enfermé dans un labyrinthe sans issue, des portes partout qui se ferment … et des gens qui sentent le spectre de la misère se dresser devant eux pour les saisir, les détruire irrémédiablement. Et qui luttent pour leur survie.
Tout casser …
Soyons clairs : les moments ne manqueront pas dans ce récit où vous aurez envie de tout casser. Car en mettant à plat cette stratégie, Brizé dévoile une logique de violence économique et sociale absolument intolérable. Devant le conseil d’administration, au siège du MEDEF, face aux ministres en charge du secteur, nos syndicalistes se heurtent à l’incompréhension et aux dysfonctionnements. Même la justice les abandonne. Et quand un repreneur se présente, il est évincé pour des raisons totalement inacceptables. Si vous doutiez encore que le monde de l’entreprise dicte sa loi, ces quelque cent minutes haletantes vont vous sidérer et vous assourdir comme une grenade de désencerclement.
Le pire est peut-être ce climat de défiance qui va progressivement semer le chaos chez ces combattants. Diviser pour régner : ce vieil adage n’a rien perdu de son efficacité, et la musique de Bertrand Blessing souligne cette mécanique de démontage de son souffle sporadique. Inspiré d’une réalité, le film de Brizé vous cerner l’enchaînement qui amène des employés à s’en prendre physiquement à leurs dirigeants. Il y parvient d’autant mieux qu’il se calque parfaitement avec notre actualité, entre gilets jaunes et scandale de l’usine Ford de Blanquefort. A ceux qui s’étonnent encore de la déferlante qui envahit nos rond-points et nos rues, il faut d’urgence visionner ce récit d’une rare justesse pour remettre un peu de justice dans nos vies communes.
Et plus si affinités