Difficile de faire l’impasse sur la série Esterno, notte. Réalisateur néoréaliste à qui l’on doit par ailleurs Le Traître, Marco Bellochio y évoque l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro. Cet épisode particulièrement traumatique de l’histoire moderne italienne marque un tournant dans la vie politique du pays. Bellochio l’avait déjà abordé en 2003 avec le film Buongiorno, notte. De fait, les deux œuvres doivent être visionnées en complément l’une de l’autre, avec en perspective une réflexion sur l’impact durable de cette tragédie.
« On ne négocie pas avec les terroristes »
Mars 1978 : Aldo Moro, président de la toute-puissante démocratie chrétienne, est enlevé alors qu’il se rend au parlement pour faire voter une alliance historique de son parti avec les communistes. Les images des cadavres ensanglantés de son escorte vont faire le tour du monde, de même celle de sa dépouille retrouvée dans le coffre d’une Renault 4 rouge parquée à mi-chemin entre les QG des deux groupes politiques. Entre ces deux instants T, 55 jours de captivité, 55 jours d’angoisse.
Moro va tenter par tous les moyens de pousser son camp à négocier avec ces Brigades Rouges qui ont orchestré son rapt, et entreprennent son procès « au nom du peuple ». Mais personne ne bougera. Enfermés dans une position dure dictée par le principe « on ne négocie pas avec les terroristes », politiques toute tendance confondue, policiers et militaires, syndicats, refusent de lâcher quoique ce soit, de faire libérer les compagnons d’armes des brigadistes. Aldo Moro le payera de sa vie.
Une lente marche au martyre
Abandonné, sacrifié. C’est cette lente marche au martyre que relate Bellochio dans son film, puis sa série. Dans Buongiorno, notte, les faits sont vécus par le prisme d’une jeune brigadiste affiliée au groupe en charge de la détention de Moro. Dans Esterno, notte, ce même récit est abordé de l’extérieur (comme l’indique du reste le titre, « esterno » signifiant « externe »), du point de vue des amis, des proches, des alliés : la femme et les enfants de Moro, mais aussi ses collègues du gouvernement, le Pape également, des terroristes en marge du rapt…
Si Buongiorno, notte tient du huis-clos, parfois onirique, Esterno, notte change de ton avec une approche beaucoup plus dure, mettant en lumière une démence généralisée. Chacun des alliés présumés d’Aldo Moro se retrouve empêtré dans une impuissance consentie, piégé dans un combat psychique entre ce que dicte le cœur et ce qu’impose la raison d’État. L’hypocrisie est latente, et la contrition du Pape torturé par sa silice n’y changent rien.
Contempler le destin à l’œuvre ?
Conçues en diptyque, ces deux lectures jouent avec la vérité des faits pour en proposer une lecture artistique bien plus décapante que tous les récits documentaires. Ces deux thrillers se font écho pour questionner une époque, un ancrage. Remarquablement travaillée, l’image se concentre sur des détails saisis sur le vif, un regard, une main, un souffle. Chaque personnage est scruté, disséqué, sans critique ni aménité. Le traitement de la musique, du son ajoute au sentiment d’oppression, de déliquescence.
Dans cette atmosphère ô combien pesante, chacun contemple la situation lui échapper. Le destin à l’œuvre ? Les interprètes de cette fresque terriblement humaine apportent une émotion, une sensibilité incroyable à ces deux visions d’une même catastrophe. Car jamais l’Italie ne se relèvera de cette atrocité. Aujourd’hui encore, elle est entachée par cette faute, ce péché originel. Et les deux deux œuvres de Marco Bellochio mettent en évidence ce fardeau, cette croix.
