Il y a ceux qui nient le passé et ceux qui le confrontent. Pour mieux l’expliquer, le cerner et en neutraliser les réminiscences dans le présent et le futur. Jadis premier port négrier de France, la ville de Nantes poursuit ce long et douloureux travail de mémoire depuis maintenant une trentaine d’années, afin de mettre en exergue les réalités du Code noir et la manière dont l’Hexagone s’est enrichi de ce commerce odieux. L’exposition L’abîme. Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial, 1707-1830, organisée par le Château des ducs de Bretagne, participe de cette démarche documentaire essentielle.
Une lecture nécessaire
Les objectifs du parcours ? Multiples, ils témoignent de la complexité de cette lecture et de sa nécessité.
- Fouiller les collections du musée pour y déceler la présence des victimes de la traite au travers d’objets du quotidien et d’œuvres d’art
- Analyser cette présence afin de comprendre comment ce marché absolument inacceptable, mais dont Nantes a tiré sa puissance, a été banalisé au quotidien, voire valorisé, par tout un ensemble de représentations codifiées.
- Détecter comment, progressivement, il est devenu une source d’opprobre dans les consciences.
Approches transversales
Pourquoi cette démarche ? Parce qu’à ce jour on ne peut dénombrer exactement le nombre de victimes de l’esclavagisme. Outre les mises à mort et les décès dus aux mauvais traitements, dont les propriétaires n’avaient pas à rendre compte, beaucoup sont mortes au moment des rafles, d’autres durant les transferts. Quant aux documents officiels (actes d’achat et de vente, registres commerçants, autorisations de navigation…), ils ont en grande partie disparu ; les archives qui subsistent ne peuvent que témoigner du processus. Il faut donc privilégier des approches transversales, fouiller ailleurs, développer un autre regard.
Anonymat et réification
Illustrée de tableaux, de livres, de cartes, de maquettes, de costumes, L’abîme (titre d’une rare justesse) confronte l’horreur de la traite humaine et la fierté conquérante de ceux qui en tirèrent profit. Un mur notamment retient l’attention qui liste ceux dont le temps a bien voulu conserver le patronyme, des prénoms surtout, car quand on est esclave, on n’a pas le droit à un nom distinctif. Anonymat donc, réification, effacement de l’individualité. Immersive, l’exposition n’en est que plus dérangeante, d’autant qu’elle interroge en parallèle des questions d’actualité, esclavage moderne alimenté par les migrations clandestines, le racisme qui autorise ces dérives, le combat incessant pour l’égalité des droits.
Une priorité absolue
C’est au final de cela qu’il s’agit : pratiquer et privilégier l’esclavage, s’enrichir par ce biais, c’est admettre que certains humains n’ont pas ce statut, ne valent pas mieux que des biens à échanger pour différents usages, exploitation par le travail, prostitution… En faire état ouvertement, au travers d’écrits, d’œuvres, d’architectures, s’en prévaloir, s’en vanter : c’est ce que nos ancêtres firent, sans aucun complexe, malgré un fort ancrage chrétien portant sur l’amour d’autrui, l’avènement de l’esprit de tolérance des Lumières. En observant cette exposition particulièrement pertinente, on comprend mieux à quel point le combat des anti-esclavagistes fut difficile, en quoi il demeure aujourd’hui, et c’en est révoltant, une priorité absolue.
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur l’expositionL’abîme. Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial, 1707-1830, consultez le site du Château des ducs de Bretagne.