Eva & Adèle sont dans un vaisseau, un vaisseau rose en forme de van, un vaisseau interstellaire venu du futur, d’un pays imaginaire où les sexes se confondent, où les Hermaphrodite Twins sont légion … dans les années 80, elles atterrissent à Berlin pour y répandre la bonne parole esthétique en amenant par leur présence précieuse et travaillée le musée parmi la population.
Cranes rasés, vêtures similaires outrageusement théâtrales, Eva & Adèle vont désormais vivre leur vie à deux, en miroir et en complémentarité, dans la production d’une oeuvre d’art perpétuelle. Phénoménales, elles s’invitent dans les vernissages les plus prestigieux, dans les biennales, les foires, les expositions d’art contemporain les plus en vue. Dés qu’elle apparaissent, elles deviennent le centre d’attention, gagnant avec le temps l’aura de véritables prophétesses. Pas d’event culturel d’envergure sans leur présence souriante, comme un gage de réussite, un adoubement.
Nous découvrons leur existence et leur pratique artistique au détour d’une séquence du documentaire La Ruée vers l’art, où elles se devaient de figurer. Artistes, performatrices, observatrices, caution de qualité, … et expressions muséales vivantes, qu’elles tissent autour d’elles partout où elles passent, laissant un sillage d’interrogations sur leur identité, leur relation, leur engagement esthétique. Car il faut une foi absolue, une quiétude quasi mystique pour s’abandonner ainsi à l’autre, en effaçant volontairement les frontières de sa personnalité pour embrasser son amour comme son reflet.
Sur le papier, elles ne citent que leurs mensurations, à peine divergentes. Leurs panoplies sont similaires, hormis quelques infimes détails, une broche placée sur le revers opposé de la veste, un peu plus de bleu autour des yeux, des épaules un peu plus voûtées, un sourire plus éclatant … Se photographier au jour le jour de cette relation extraordinaire, se représenter dans le quotidien d’une gémellité assumée, confondant les identités sexuelles, les passés, les mémoires … amour absolu qu’on tremble de voir finir, …. que se passera-t-il le jour où la Camarde frappera ? Si un jour l’Amour meurt ? Qu’adviendra-t-il de la survivante du naufrage ?
Eva & Adèle sont dans un vaisseau, rose, somptueux, extravagant et fragile. Pour la première fois en France, une exposition leur est dédiée par le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Reconnaissance un brin malicieuse, pour ces créatures qui portent le désir muséal en elles. Inspirée de la déclaration d’amour d’un fan, You are my biggest inspiration évoque l’univers de ces deux artistes, autour de créations clés qui éclairent leur démarche. Magique, drôle, sincère. Et vulnérable, craint-on. Car nous ne sommes que chair et sang, matières corruptibles, vivants promis au néant. Dans nos corps, nos êtres, nos relations parfois.
On ne peut s’empêcher d’évoquer, en regardant les vidéos, les polaroids, les costumes, tous placés sous le signe du binaire et du double, cette éprouvante incertitude, Puis on distingue Eva & Adèle, descendues de leur vaisseau pour inaugurer la manifestation. Souriantes, hilares, béates. Enfantines presque. Et l’on s’aperçoit qu’elles savent cette incertitude, qu’elles en ont conscience, depuis longtemps. Qu’elles l’ont domestiquée, dépassée, disloquées. Tranquilles, Eva & Adèle l’ont gommée avec fatalité, et un bon sens philosophique. « Coming out of the future », elles regardent dans cette direction, et il n’y a que cela qui compte.
Et plus si affinités