Le Musée du quai Branly-Jacques Chirac présente, du 26 juin au 14 octobre 2018, en l’Atelier Martine Aublet, une chouette exposition consacrée au chanteur, acteur et activiste politique noir-américain Paul Robeson. Sans W.E.B. Du Bois, Paul Robeson, Marian Anderson, Oscar Micheaux, Katherine Dunham, Sammy Davis, Harry Belafonte, Sidney Poitier, Misty Copeland, Alvin Ailey, Cassius Clay, etc. y aurait-il eu Obama ? Même si, à l’instar de nombre de présidents de notre République, celui-ci n’a rien fait qui ait marqué l’histoire durant ses mandats, les faits mêmes qu’il ait été élu au pays de la Ségrégation et qu’il n’ait été ni « empêché » ni assassiné sont à nos yeux ineffaçables.
Sarah Frioux-Salgas, qui avait été commissaire de l’exposition Présence Africaine en 2009 et de celle, remarquable et remarquée, L’Atlantique noir de Nancy Cunard, en 2014 (dont le catalogue vient d’être réédité par Jean-Michel Place), a conçu l’hommage à cette figure iconique, apparue dans le sillage des artistes et des intellectuels se réclamant de la « Harlem Renaissance », qui a été la vedette de plusieurs films – et non des moindres – signés de cinéastes indépendants, expérimentaux, militants et commerciaux ; à cette « voix » de la fierté noire au timbre profond, tellurique, de baryton-basse, capable de tout dire, tout moduler, tout clamer dans toutes les langues, de l’Atlantique à l’Oural. D’où, peut-être aussi, le sous-titre de la monstration, emprunté à Edouard Glissant, d’homme du Tout-monde.
Comme le note la commissaire, Robeson a toujours voulu rompre avec l’image stéréotypée du Noir, y compris celle transmise par les films les plus prestigieux comme Halleljujah ! (1929) de King Vidor, rompre avec ce qu’il appelait « l’imagerie de la plantation », le « Nègre du Poor Old Joe » et de la « Swanee Ribber ». Il a, avec les tenants de la Harlem Renaissance comme Alain LeRoy Locke, proposé un modèle du « New Negro ». Ses rôles ont été de ce fait très variés, au théâtre, au music-hall et au cinéma. Il a joué notamment dans Body and Soul (1924) d’Oscar Micheaux, Borderline (1930) de Kenneth Macpherson, Emperor Jones (1933) de Dudley Murphy et Show Boat (1936), la version réalisée par James Whale, auteur, par ailleurs, de… Frankenstein. Il a également assuré la voix off pour des documentaires : Native Land (1936) de Paul Strand et Leo Hurwitz et Das Lied der Ströme / Le Chant des fleuves (1954) de Joris Ivens.
Nous disons « exposition » ou « monstration » là où la commissaire écrit « installation » pour caractériser le travail audiovisuel destiné à évoquer une personnalité hors du commun, un des premiers Afro-américains, fils d’un esclave évadé, à avoir pu faire des études de droit à l’Université Rutgers et à celle de Columbia, athlète de haut niveau, avant de devenir une tête d’affiche du théâtre de Broadway, chanteur de Gospel et même d’opéra, acteur de premier plan, si l’on peut dire, pour le 7e Art. Là où presque tous ses collègues se sont complus dans le narcissisme, il s’est toujours tourné vers l’autre, l’opprimé, l’exploité, l’humilié, quitte à se mettre en danger. Il a dénoncé la ségrégation raciale, la colonisation, le fascisme, s’est impliqué dans la Guerre d’Espagne dans le cadre des Brigades internationales, est devenu très populaire en URSS et le deuxième acteur noir, après Ira Frederick Aldridge, à interpréter Othello à Londres même.
Très conscient, politiquement, philosophiquement et artistiquement parlant, ainsi qu’il le prouve en chantant (cf. sa version émouvante de « Die Moorsoldaten », le chant des déportés ou bien l’adaptation en anglais de « Los Cuatro muleros », hymne loyaliste espagnol, toutes deux enregistrées en 1942), Paul Robeson déclara en 1937 : « L’artiste doit choisir de se battre pour la liberté ou l’esclavage. J’ai fait mon choix. Je n’avais pas d’alternative ».
Et plus si affinités :