«Je ne suis pas intéressé par l’avenir de la mode, mais par le présent». C’est avec ces mots que Saint Laurent lui-même nous accueille dans l’enceinte de la fondation qui porte son nom, avec une vidéo projetée en boucle aux portes de l’exposition Saint Laurent Rive gauche – La révolution de la mode consacrée à la marque elle-même. Une redite de l’événement du Grand Palais ? Certes non. Mais une autre manière de mesurer l’impact que le couturier a eu sur notre époque.
Le miroir des femmes de son temps
Un impact de poids puisqu’en ouvrant sa première boutique rue de Tournon, Saint Laurent devait complètement modifier le rapport de la femme moderne au vêtement. Comme un fait exprès, l’exposition tourne le dos aux spotlights des podiums pour restituer l’atmosphère futuriste de cette boutique, la devanture en métal (une première pour l’époque), les murs sang de bœuf, l’éclairage tamisé et au fond le portrait du maître en majesté, signé Eduardo Arroyo.
Un travail de reconstitution minutieux et respectueux comme me l’explique le scénographe Christophe Martin qui s’est inspiré des photos d’alors pour retrouver cette harmonie si novatrice. Car Saint Laurent a pensé cette boutique comme le miroir des femmes de son temps. Des femmes en pleine conquête de leur liberté, des femmes en recherche d’émancipation et de reconnaissance. Nous sommes en 1966 : elles s’installent sur le marché du travail, contestent la tutelle des pères et des maris, vont bientôt obtenir le droit à la contraception et à l’avortement.
Une boutique d’un genre nouveau
Caban, smoking, jean, capote militaire, trench : on sait comment le styliste va détourner les classiques de l’éternel masculin pour leur façonner une mode à la mesure de leur épanouissement. On sait moins qu’il va redéfinir tout ce qui accompagne et diffuse cette mode. Ainsi de cet espace de vente qu’il conçoit avec une jeune décoratrice, Isabelle Hebey. Elle rassemble toute une équipe de jeunes designers, et orchestre cette boutique d’un genre nouveau. bancs
Djinn violets signés Olivier Mourgue, lampes créées par Isamu Nogushi, sculptures de Niki de Saint Phalle … l’endroit est feutré, résolument moderne jusque dans les doubles rangées de portants. Une audace folle pour l’époque, mais une géométrie parfaite pour accueillir ces créations qui mixent avec bonheur le jean, la fourrure, la laine, le coton, les fleurs, les rayures, les bottines à lacets, les chaussures à plateforme, les ceintures en macramé et les bijoux de métal doré.
Nulle dérive vintage dans cette exposition aux dimensions humaines, mais la volonté affichée de montrer un autre visage du créateur en replaçant ses modèles dans l’univers qu’il a conçu comme une interface avec la femme du quotidien. Un pari réussi, un hommage original et la conviction qu’au-delà du passé, du présent et de l’avenir, Saint Laurent est un créateur d’éternité.