À peine terminée l’exposition sur Thierry Mugler, le Musée des Arts Décoratifs de Paris embraye sur un parcours intitulé Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli. Vous doutiez encore que la haute couture soit un art ? Cette visite devrait vous en convaincre, avec Schiap’ comme sainte patronne.
Agitatrice de la mode et des consciences
Une sainte patronne artiviste, c’est le moins que l’on puisse dire. Au fil des salles qui composent les galeries de la mode Christine & Stephen A. Schwarzman, Elsa s’impose comme une créatrice d’avant-garde, audacieuse, inspirée, dont les traits de génie ne se cantonnent pas au rose shocking, au chapeau chaussure et à la robe homard. Passés à la postérité, ces éléments constitutifs de la légende éclipsent dans l’imaginaire collectif d’autres hardiesses que l’exposition se charge de nous rappeler dès le début de la visite.
Le hall d’entrée est en effet recouvert du sol au plafond par les milliers de modèles que Schiap’ a dessinés au fil de sa carrière d’agitatrice de la mode et des consciences. Un vertige nous saisit devant cette frénésie de création, magistralement mise en évidence par la scénographe Nathalie Crinière. Une inventivité teintée d’humour, d’un brin de dérision, où transparaît l’appétit de savoir, les sources d’inspiration de cette surdouée, son dynamisme, sa fantaisie, son sens du baroque et du spectaculaire.
Un parfum surréaliste très particulier
La suite du parcours confirme cet éclat en détaillant comment Schiaparelli a su capter l’esprit de son temps, des tendances artistiques entre excès et poésie, ce parfum surréaliste très particulier, onirique, transgressif et magnétique. Une manière d’interroger ce qui définit la femme, tout en participant à son émancipation. En découvrant ces modèles d’une précision diabolique, dans la coupe comme dans le souci de détails infimes mais essentiels, on comprend que pour porter le style Schiap’, il faut être une femme affirmée et fière de l’être.
Toutes ne peuvent endosser ces manifestes aux épaules carrées comme des armures, à la taille marquée, où les broderies, les strass, l’or ruissellent pour accrocher la lumière et les regards. Entrer dans un salon habillée en Schiaparelli, c’est immédiatement capter l’attention de toute l’assistance. Des robes flambeaux, des capes torches, des manteaux solaires… le noir des étoffes sert de toile aux arabesques d’ornements aveuglants. Ce n’est plus de la haute couture, c’est de la scénographie vestimentaire, avec des touches d’une originalité incroyable.
La mère de toutes les extravagances
Boutons angelots, gants ornés de griffes de panthères, bijoux papillons, poches porcelaines, Schiap’ n’en finit plus de nous éblouir, encore aujourd’hui. À chaque vitrine, on s’exclame, on s’enthousiasme devant ses trouvailles, la manière toute naturelle dont elle associe les éléments, les matériaux, les idées. Jean Cocteau, Christian Bérard, Man Ray, Dali, elle s’accorde avec ces profils hors normes pour accoucher de créations sublimes, qui questionnent tout à la fois les notions de modernité, d’élégance, d’hybridation.
Schiaparelli, la mère de toutes les extravagances ? Scruter son évolution, c’est y reconnaître ceux qu’elle va influencer ! Sonia Rykiel, Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler, Christian Lacroix, John Galliano, Vivienne Westwood, Olivier Rousteing… C’est aussi mesurer le défi relevé par Daniel Roseberry, en charge depuis 2019 de la direction artistique d’une maison qui, telle le phénix, renaît de ses cendres, après sa reprise en 2007 par le groupe Tod’s. Car il s’agit d’enrichir un patrimoine très particulier.
La mode sous l’Occupation : une approche particulièrement éclairante
Une artiste italienne qui fait des robes
Réveiller l’esprit de Schiap’ est en effet un exercice dangereux pour différentes raisons :
- elle seule pouvait se permettre ces audaces sans être ridicule, grossière, caricaturale ;
- elle possédait un œil sans pareil, qu’elle alimentait par sa curiosité de tout, ses lectures quotidiennes, sa soif de connaissances ;
- elle s’était entourée de génies du même accabit qu’elle, et avec qui elle parlait le même langage ;
- elle était au bon endroit, au bon moment, prenant son essor durant les Années Folles, dans une période artistiquement propice au succès de son style et à l’émancipation des femmes.
L’exposition interroge le cadre de cette mission à haut risque, mais fascinante. Les créations de ces dernières années en témoignent, toujours portées par des femmes charismatiques comme lady Gaga. Preuve que le Schiap’ effect fonctionne toujours pour secouer les fondamentaux de la haute couture. Chanel, qui redoutait cette rivale autant qu’elle la méprisait, la qualifiait d’ « artiste italienne qui fait des robes ». Un persiflage finalement clairvoyant et prophétique, car c’est ici d’art qu’il s’agit.
Et plus si affinités
Consultez notre album de photos souvenirs en ligne.
Pour en savoir plus sur l’exposition Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli et préparer votre visite, consultez le site du Musée des Arts Décoratifs.