Le Petit Palais consacre une exposition d’envergure au peintre anglais Walter Sickert, autrefois sommité des Beaux-Arts européens, disparu des radars depuis les 60’s. Une œuvre aussi crue qu’inquiétante, un halo de mystère autour de l’homme qu’on soupçonne d’être Jack l’éventreur : Who’s that guy ?
Les retrouvailles entre Paris et Walter
Mais qui est l’énigmatique Walter Sickert (1860-1942), ce peintre anglais illustre en son temps, célébré par Virginia Woolf, source d’inspiration non négligeable de ses compatriotes Lucian Freud ou encore Francis Bacon au lendemain de sa disparition… puis artiste sombrant dans l’oubli à la fin du XXe siècle, lorsque la peinture figurative se démoda ? C’est à cette question que tentent de répondre plusieurs expositions en cette année 2022. D’abord à la Walker Art Gallery de Liverpool – sur la base de ses vastes collections de dessins – puis à la Tate (Londres), et enfin à Paris.
Depuis le 14 octobre, on peut redécouvrir au Petit Palais l’œuvre singulière de ce postimpressionniste dans l’évènement bien-nommé Walter Sickert : peindre et transgresser. Il s’agit là de retrouvailles entre Paris et Walter qui a tant chéri la ville-lumière au début du XXe siècle. Loin de son maître, le peintre américain installé en Angleterre James Whistler, il y fit la connaissance d’Edgar Degas, Édouard Manet, Pierre Bonnard, Camille Pissarro et autre Monet. La modernité de ces géants l’interpelle tellement qu’il en vient à s’installer, un temps, en France, dans la station balnéaire de Dieppe (de 1898 à 1905).
Compositions étranges et couleurs horrifiques
De retour en Angleterre, il secouera profondément la scène artistique british. Avec ses tableaux empreints des techniques françaises en cours, ses sujets énigmatiques, voire déstabilisants, il ne tardera pas à transgresser tout ce que compte de corseté la perfide Albion. Ce sont notamment ses nus féminins aussi crus que glauques, ses tableaux de music-hall qui n’existaient alors pratiquement pas dans les beaux-arts britanniques de l’époque. Et puis il y a ses « conversation pieces », scènes de genre classique et traditionnel de la peinture anglaise qu’il détourne en tableaux ambigus, menaçants pour ne pas dire sordides, à l’instar de la série des « meurtres de Camden Town » qui choquent outre-manche.
Walter Sickert ose des compositions inédites, des angles et perspectives étranges. Des couleurs ternes. Terreuses. Horrifiques. Insaisissable dans sa vie et dans son œuvre, Walter se repait de son ambiguité. Son ami et peintre Jacques-Émile Blanche, au bout d’une quarantaine d’années d’amitié, évoquait en parlant de lui :« sa discrétion dédaigneuse, une sorte d’autodéfense dans son attitude vis-à-vis des contacts humains – noli me tangere… Toutes les relations avec Sickert ont un caractère extraordinaire, mystérieux ». Comédien professionnel dans sa prime jeunesse, grand amateur de déguisement en tout genre, Sickert assumait totalement son art de la dissimulation et du travestissement.
Une œuvre ambiguë et innovante
Parfois de manière très limite, notamment lorsqu’il fut mêlé aux meurtres de Jack l’éventreur. Sickert apparaît en effet dans de nombreuses théories conspirationnistes : celles du canulariste Joseph Gorman, qui prétendait être son fils et suggérait que le peintre était le complice de l’Éventreur. Ou celles développées dans Portrait d’un tueur (2002) de la romancière Patricia Cornwell qui dépensa plus de 7 millions de dollars en recherche de preuves pour élaborer sa théorie. Le mystère de Jack The Ripper reste pourtant à ce jour sans réponse et difficile de rapprocher Walter du monstre de WhiteChapel. N’empêche que la série d’un ensemble de quatre peintures intituléesWhat Shall We Do for the Rent ?renommé par le peintre aux lendemains des meurtres, The Camden Town Murder interpelle.
Avant de s’éteindre, l’artiste étonnera une dernière fois le public et la critique en délaissant ses sujets de prédilection et en renouvelant sa technique. Il innovera en détournant et transposant en peinture des images de presse. Convertir une image en noir et blanc de mauvaise qualité en une composition en couleur peut paraître un brin fumiste, surtout au regard de la qualité de l’œuvre déjà produite par Sickert. Mais c’est méconnaître le talent de l’Anglais qui, via une habile manipulation de la peinture et de changements dans le cadrage, contribue à faire une œuvre grandement innovante. Un processus qui sera d’ailleurs largement repris à partir des années 1950 par des artistes comme Andy Warhol. Bien vu !
Et plus si affinités
Pour en savoir plus sur l’exposition Walter Sickert : peindre et transgresser, consultez le site du Petit Palais.