Le 29 novembre 2012 sortait Far Cry 3, pour la plus grande joie des gamers fous de tir subjectif, îles paradisiaques, mercenaires fous et autres univers survival. Je laisse le soin à Jérémy de vous présenter le jeu et son univers, pour me concentrer plus spécifiquement sur la websérie qui a précédé le lancement du jeu. Oui, oui, Ubisoft a su faire monter la pression déjà très élevée des fans en balançant au compte goutte sur un site dédié, de là sur la toile, les 5 épisodes qui composent cette suite m’ont laissée proprement scotchée à mon fauteuil.
Far Cry Experience : entre paradis et enfer
Je ne suis pourtant pas une petite nature, ayant grandi dans le sillage de Georges Romero et consort. Mais là, j’avoue, j’ai légèrement flanché en visionnant les épisodes, qui bien évidemment vont crescendo jusqu’à l’insupportable. Scénario typique du survival : l’acteur Christopher Charles Mintz-Plasse (qui existe réellement) débarque sur une île pour tourner le teaser présentant le jeu, tandis que ses producteurs et toute une armada de fêtards s’éclatent sur le bateau de plaisance qui les a amenés sur site. Mais le tournage tourne court quand éclatent des tirs. Tout le monde s’égaye dans la jungle, le caméraman continue de filmer malgré tout et capte la véritable chasse dont tous vont être victimes. Un massacre orchestré par le mercenaire fou Vaas, qui a placé l’île en coupe réglée.
Un film dans le film donc : images superbes, scénario tenu, narration très rythmée, nerveuse qui finit dans l’hystérie la plus totale, c’est une exploration des méandres de la folie destructrice que propose Far CRy Experience. On flirte ouvertement avec Les Chasses du Comte Zaroff, Wolf Creek, Saw, Détour Mortel, Taxi driver même avec la crête de Vaas. Bref de la très grosse référence cinématographique pour ce qu’il faut bien qualifier de petit bijou du genre, de belle réussite marketing en matière de buzz. De polémique évidente en matière de violence du contenu. Et de tournant en matière de perception du gaming.
Un cocktail décalé et dérangeant
Précisons que le visionnage des cinq épisodes ne laisse pas indemne, loin de là, même en le prenant au second, quatrième, cinquante cinquième degré. Cadrages, mouvements de caméra, traitement du grain de l’image, qualité des effets spéciaux et des make up, décalage constant entre l’horreur des tortures infligées et l’humour noirâtre qui les accompagne, le tout forme un cocktail très particulier et franchement dérangeant. Le malaise est immédiat, va crescendo, est alimenté par l’alternance entre moments de fuite et tueries d’une intensité et d’un réalisme effrayants.
Ajoutons à cela le personnage de Vaas servi par un acteur époustouflant, le canadien Michael Mando, qui a d’ailleurs été recruté à l’origine pour prêter sa voix et ses traits au personnage du jeu et trouve ici l’occasion d’aller plus loin dans l’interprétation d’un psychopathe dont les scénaristes ont dressé le portrait en s’inspirant des travaux de psychiatres sur la folie. Et Michael Mando s’est tellement bien acquitté de sa tâche qu’il a porté Vaas sur le devant de la scène pour en faire un héros noir et charismatique.
La websérie constitue du reste un climax, et peut-être une ouverture vers une adaptation filmée, qui sait ? En tout cas et c’est là sa fonction et sa réelle problématique, elle explose les limites entre fiction et réalité. La présence de Christopher Charles Mintz-Plasse, acteur célèbre jouant son propre rôle jusqu’à son exécution finale (son supplice et les tortures qui le précèdent sont intolérables, âmes sensibles s’abstenir), le tournage sur le vif, la captation des impacts de balle, des détails anatomiques, contribuent à placer le spectateur dans un état émotionnel assez proche de celui des victimes. On frémit du reste quand Vaas appelle les fans de Christopher à voter pour lui sauver la vie, ce qu’ils font du reste, mais trop tard ; on tremble également quand Vaas annonce tout joyeux que suite à la diffusion de son show, des gens débarquent sur l’île pour vivre consciemment cet enfer.
Contre utopie trash et nouvelle approche du gaming ?
Heureusement le making off ainsi que les nombreux interviews dédiés ramènent un peu de clarté dans tout ça :
Détournement ironique des reality shows qui prolifèrent sur nos écrans comme champignons sous la pluie ? Vass s’amuse-t-il de nos travers de surfeurs internet, de consommateurs de programmes à sensation, de notre voyeurisme ? Contre utopie oblige et probablement sans même s’en rendre compte, le réalisateur Antoine Blossier, déjà rompu à l’exercice avec le film La Traque nous propose une version trash, sanglante et satirique de L’Ile des Esclaves de Marivaux. Un regard beaucoup plus profond sur ce que notre société est en train de générer ? Ou un élément d’identification cathartique important pour se préparer à entrer dans le jeu ?
C’est qu’Ubisoft désire faire évoluer ses produits avec les gamers. Véritablement, Far Cry s’adresse à des utilisateurs avertis, des gamers confirmés et responsables (cf la batterie d’interdictions et d’avertissements qui précèdent chaque épisode), qui jouent depuis longtemps et dont les perceptions ont évolué depuis l’adolescence jusqu’à l’âge d’adulte. Il convient de faire évoluer le jeu en fonction de ces paramètres tout en proposant une configuration qui capte l’intérêt et fascine, tout en créant des ressentis. Mission accomplie pour sûr et de nouveau un carton complet pour le format websérie qui a de beaux jours devant lui.
Mais également une autre approche du jeu qu’il faut aborder en conservant son humanité, sa réflexion et sa distanciation. C’est ici la responsabilité du fabricant d’une part, du joueur et de son entourage de l’autre.
Et plus si affinités (esprits fragiles s’abstenir car c’est vraiment violent)