1813 : Verdi voit le jour. 2013 : on célèbre son bicentenaire. Du coup tous les festivals lyriques affichent les opéras du plus grand des compositeurs italiens. Le festival d’Aix en Povence ne fait pas défaut qui propose Rigoletto, retransmis en direct par ARTE. Pas l’œuvre la plus facile du maestro, puisqu’adaptée du drame romantique Le Roi se meurt de Victor Hugo et porteuse d’un discours particulièrement amère sur l’amour manipulé par le pouvoir, le pouvoir destructeur de l’amour.
Petit résumé : le duc de Mantoue est un séducteur impénitent. Aucune ne lui résiste, ni les femmes mariées, ni les courtisanes. Alors imaginez la toute jeune fille du bouffon Rigoletto, cloîtrée par son père, si vierge, si innocente. Convaincu que c’est sa maîtresse, le duc se fea une double joie de corrompre cette jeune beauté puis de l’abandonner. Problème : Gilda est amoureuse, vraiment. Elle se fera tuer pour sauver cet amant parjure, poignardée à sa place sur ordre d’un père désireux de venger l’affront. Une histoire de « malédiction » comme le chante le personnage éponyme d’un bout à l’autre de l’opéra, … reprenant ainsi la constante verdienne du destin qui frappe inexorablement ?
Trop facile, trop réducteur et la mise en scène du canadien Robert Carsen se charge de nous le rappeler avec poigne et sans chichi, plaçant la pure Gilda au cœur des convoitises masculines, d’un carrousel fatal, symbolisé par une piste de cirque cernée de gradins. On y voit le duc de Mantoue y dompter des stripteaseuses aussi féroces et nues que des lionnes avant de pleinement se dévêtir au moment de déflorer la jeune fille, Rigoletto s’amuser d’une poupée gonflable pour ensuite s’approcher de sa fille et la caresser de coupable façon. Dépucelage, inceste, tournante, même le SM est évoqué dans la scène finale où le tueur et sa sœur évoluent au milieu de cordages qui rappellent le shibari, les liens de suspension et l’esthétique du Quartier Rouge d’Amsterdam. Une façon troublante et pesante de poser la sexualité exacerbée comme moteur de l’intrigue avec en son centre Gilda comme seul élément de pureté et victime expiatoire, interprétée avec beaucoup de conviction et de justesse par Irina Lungu.
La candeur du personnage s’exprime quand, éprise follement après la déclaration de son amant, elle s’élève dans les airs sur un trapèze, petite étoile que les hommes contemplent avec l’évident désir de salir cette pureté. Simpliste ? Réducteur ? Cru ? Racoleur peut-être ? Non, tout simplement la lecture de Robert Carsen va jusqu’au bout de l’innocence foudroyée par la possession. La seule au bout du compte qui aimera vraiment sera Gilda. L’abus de pouvoir de l’amant et du père n’en sont que plus insupportables et condamnables, par leur nonchalance et leur égoïsme.
« La dona e mobile » chante le duc au 3eme acte, comme pour justifier sa propre infidélité. Ironie, mauvaise foi, ce Don Juan, héritier du héros mozartien, pourrait revendiquer le qualificatif. Et la mise en scène d’aller dans ce sens en convoquant l’esprit du film La Strada, l’opéra Paillasse de Leoncavallo avec ce Rigoletto grimé en clown triste. Disons le clairement, si les voix de cette nouvelle version ne sont pas toujours à la hauteur (difficile par ailleurs de passer derrière Alfredo Kraus ou Mirella Freni), la mise en scène est là pour apporter une nouvelle jeunesse à l’opéra et l’ancrer dans notre temps et son individualisme.