Le festival Lumière a enchanté et fait revivre la ville natale du 7ème art. En cette fin d’évènement, le chef d’œuvre de Rohmer, Ma nuit chez Maud, nous est présenté en version restaurée. Et c’est Françoise Fabian qui introduit elle-même cette nouvelle version prévue en salle à la fin de l’année.
Eric Rohmer est un génie, c’est à la fois une conviction personnelle et presque une vérité générale. Figure emblématique de la nouvelle vague, réalisateur de talent, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, … critique et cinéphile, Rohmer a été écrivain avant d’être cinéaste. En faisant le choix de la caméra, ce ne sera pas chez lui un substitut de l’écriture, s’illustrant avec des dialogues qu’on qualifie parfois de trop littéraires. La parole et l’image se font représentation de l’intime des personnages. Ce dialecticien du discours amoureux nous livre certainement dans sa plus belle œuvre les contes moraux, une série de leçons.
Moraliste mais non moralisateur il nous entraine dans une analyse plus psychologique que sociologique de son époque. On se souvient de la disparition de grand homme en 2010 et du magnifique hommage de Fabrice Luchini : « Eric Rohmer était tout pour moi. Il était le plus important. Je lui dois tout (…) Il était le plus grand cinéaste de la Nouvelle Vague après François Truffaut. Il ne reste que Godard, et éventuellement Chabrol ». Le festival Lumière permet ce bonheur d’un hommage, celui de visionner au cinéma Ma nuit chez Maud pourtant sorti en 1969.
Ma nuit chez Maud Bande-annonce 1 par toutlecine
Actrice incroyable, Francoise Fabian est un grand nom du cinéma français qui s’illustra dans le personnage de Maud bien sûr, mais fut aussi Ida dans Le Voleur de Louis Malle, Françoise dans La Bonne année ou Sarah dans Partir Revenir de Lelouch, plus récemment encore Françoise dans Le Prénom de Matthieu Delaporte. Avec une filmographie impressionnante, un talent incontesté, elle vient présenter le film qui marqua toute une époque. Evidemment elle n’est pas Maud mais on ne peut s’empêcher de se l’imaginer, Maud, si mystérieuse et inaccessible, est là devant nous.
Ma Nuit chez Maud est l’un des six contes moraux, c’est avant tout une histoire de trajectoire et de pari. On peut y voir un documentaire sociologique, certes Vidal représente le type de l’enseignant et Jean Louis l’ingénieur chez Michelin à Clermont. Cependant la direction du film ne s’oriente pas vers cette analyse, Vidal est bien plus caractérisé par son marxisme et Jean Louis par son catholicisme que par leurs catégories socioprofessionnelles. Il s’agit en effet d’explorer et de mettre en regard des représentations de la vie plutôt que de peindre des conditions sociales. On en oublie même que Maud est médecin, on ne voit en elle que le pivot séducteur de l’histoire.
Ma nuit chez Maud est en effet un film qui théorise, nous observons toujours des individus qui ont besoin de se questionner. Ils ont besoin de la présence d’autrui pour se dire et se comprendre. Deux scènes sont particulièrement remarquables à ce niveau : la rencontre fortuite de Jean Louis et Vidal dans la brasserie qui sera l’occasion d’une explication sur la pari pascalien et le débat philosophique et religieux des trois personnages chez Maud. Le spectateur hésite à prendre parti, dans cette querelle janséniste ou jésuite. Dans les films de Rohmer, le hasard n’existe pas, une certaine prédestination guide les personnages, ces mêmes personnages qui révèlent leur dualité.
La parole est primordiale, elle sert même de justification à l’inaction. Les grandes théories de Jean Louis sont une explication à son refus de succomber au désir. Comme le souligne Pascal Bonitzer, tout dialogue Romherien implique en fait une relation triangulaire. Plusieurs relations sont triangulaires dans Ma nuit chez Maud, évidemment Vidal, Jean-Louis et Maud, mais aussi Maud, son mari et Françoise, ou Jean Louis, Maud et Françoise. Cette triangularité ne renvoie pas seulement à des histoires de tromperie. En parlant à autrui, en vivant une dualité, ces personnages par leurs masques se parlent surtout à eux même.
Le personnage Rohmerien est sans cesse dans un paradoxe entre ce qu’il dit et ce qui se passe, « La distance crée l’attirance tandis que le contact éteint les sens ». Peut-on parler d’amour entre Jean-Louis et Maud ? On peut toutefois évoquer une attirance physique, intellectuelle et psychologique. La beauté de leur histoire consiste à ne rien voir, le spectateur se contente d’un baiser d’adieu et est forcé de se porter ensuite sur Françoise, envers et contre lui, le hasard ou la prédestination fait son œuvre.
En terminant sur ce chef d’œuvre du 7eme art, le festival Lumière s’affirme comme un très bel évènement, un hommage essentiel au cinéma, porté par de très grands noms : on attend déjà avec impatience la sixième édition.
Et plus si affinités