On va le dire carrément : la première saison de FEUD nous a laissés sur le cul. En s’attaquant brillamment au fight légendaire entre Joan Crawford et Bette Davis sur fond de tournage (cauchemardesque) du film culte Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, Ryan Murphy avait mis la barre très très haut. Difficile de remettre le couvert avec autant de maestria. Il faudra donc sept ans au showrunner de American Horror Story, Glee et autres Pose pour accoucher d’une seconde querelle digne de ce nom. Et quelle querelle : avec Capote vs The Swans, Murphy narre les différents épisodes du clash entre l’auteur du mythique De sang froid et ses amies de la jet set new-yorkaise qu’il avait surnommées « Les cygnes ». Bouillie de palmipèdes en perspective !
Des cadavres dans de beaux placards
Car il n’y aura pas de pitié, soyez-en sûrs ! Tant qu’il divertit ses richissimes amies, tant qu’il anime leurs somptueux dîners où se croisent nababs, artistes et fashionistas, pas de soucis : Truman Capote est le bienvenu, invité partout, même et surtout en vacances dans les villas élégantes des Hamptons. On apprécie son humour, sa culture, son ironie aussi. Une ironie féroce quand il déchire à belles dents celles et ceux qui ont démérité, fait un écart, se sont compromis. Verre en pogne, cet auteur incontournable de la littérature américaine se cuite allègrement en critiquant tout ce qui lui passe à portée de regard. Cela fait beaucoup rire … jusqu’au jour où ses chers cygnes se retrouvent dans le viseur.
Objet de leur colère : « La Côte Basque », nom du restaurant huppé où elles se retrouvent régulièrement avec Capote, et titre d’un chapitre de Prières exaucées paru dans Esquire en 1965, chapitre dans lequel le romancier se lâche dangereusement, révélant à mots à peine couverts les déconvenues de ces dames, entre bassesses, tromperies, maris volages et autres vacheries qu’elles se font entre elles. Il faut dire que Capote en a entendu, vu, vécu des vertes et des pas mûres, dans cet univers feutré où le paraître est tout, où on s’égorge le sourire aux lèvres. Confident parfait, on lui a confessé bien des secrets, les cadavres que ces damesles cygnes cachent dans leurs beaux placards, il les connaît tous ou presque, puisqu’il a aidé à les planquer.
Détailler la déchéance
Aussi, quand il édite ces lignes issues d’une oeuvre qu’il ne finira jamais, la crise est immédiate, brutale. Toutes vont faire front pour le démolir socialement, psychiquement, intellectuellement. Justice ou mesquinerie ? Pour tout dire, quand commence la série, Capote va déjà mal, il boit de plus en plus, n’arrive plus à écrire. La rédaction de De Sang froid l’a complètement vampirisé. Rongé par le souvenir d’une mère pour le moins castratrice, paniqué à l’idée de vieillir, de voir sa beauté se flétrir, son inspiration se tarir, il s’oublie dans l’alcool, s’abîme dans une sexualité toxique à la limite du masochisme le plus destructeur. C’est à cette fin de règne qu’on assiste, impuissant et navré. Car tandis qu’il bataille vainement pour écrire encore un peu, pour gagner son combat contre les Cygnes, Capote sombre doucement, isolé, insupportable, enchaînant les erreurs volontairement pour tomber toujours plus bas.
Un reflet de la déliquescence à venir pour les USA des années 70 ? Cette déchéance, Murphy, comme à son habitude, la détaille méticuleusement, sans juger personne, objectif, pénétrant, mettant en regard le destin de Capote et celui d’autres artistes comme James Baldwin. Nostalgique également d’une période glorieuse, ces années 60 où l’aristocratie new-yorkaise héritée du Gilded Age brillait encore, mais si faiblement. La querelle entre Capote et ses Cygnes, filmée par un Gus Van Sant au mieux de sa forme, précipite la chute d’une époque, une certaine vision de l’Amérique. Costumes, maquillages, coiffures, décors, accessoires, attitudes, la série est une reconstitution fidèle d’un mode de vie en apparence policée, qui en réalité encourage le vice, l’hypocrisie, la méchanceté, fleurissant à qui mieux mieux sur le terreau du fric facile, de l’ennui et de la vacuité.
Un casting de choc
Pour camper cette atmosphère sinistre, le showrunner convoque un casting de choc. Outre Gus Van Sant cité plus haut qui assure la réalisation de cette lente descente aux enfers, Murphy fait entrer en lice des comédiennes de talent, dont il va sublimer le jeu : Naomi Watts, diaphane Babe Paley, Diane Lane, intransigeante Slim Keith, Chloë Sevigny, C.Z. Guest la diplomate, Calista Flockhart la névrosée, Demi Moore, fatale Ann « Bang Bang » Woddward … un beau parterre d’actrices pour autant de rôles complexes, sur le fil du rasoir. Face à elles, Tom Hollander crève littéralement l’écran : sa prestation d’un Capote plus vrai que nature, rongé par ses démons (notamment sa mère, la redoutable Lillie Mae Faulk, interprétée par une Jessica Lange terrifiante), restera dans les mémoires comme un tour de force.
L’ensemble, inspiré par l’ouvrage Capote’s women: A true story of love, betrayal, and a swan song for an era de Laurence Leamer, introduit par un générique à l’esthétique mémorable, marqué par des séquences puissantes (le bal en noir et blanc, la mort de Capote à mettre en parallèle avec celle de Babe) se regarde à la fois comme un panorama biographique sur un parcours littéraire torturé, une plongée documentaire dans un milieu social très spécifique, l’évocation d’un temps révolu pour le pire et peut-être le meilleur ? Ce qui est certain, c’est que ce second volet de FEUD tient ses promesses, appelant un troisième chapitre qui, là aussi, devra être à la hauteur.
Et plus si affinités ?
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